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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/278

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réussissait assez bien à prendre certains objets et très mal à en prendre d’autres. Ainsi il y avait sur la table un crochet qui était à elle et que j’avais pris dans son ouvrage et un petit porte-mine qui était à moi et que j’avais tiré de ma poche. Elle prenait toujours assez bien son crochet avec une ou deux minutes d’hésitation seulement, mais elle mettait dix minutes ou un quart d’heure pour prendre mon crayon. Je fis différentes théories pour comprendre cette différence que je voulais d’abord rapprocher de l’électivité des somnambules. La véritable explication du fait ne me fut donnée que peu à peu en répétant l’expérience.

En effet, ce jeu fut recommencé plusieurs fois et je m’aperçus que peu à peu elle prenait fort bien mon porte-mine, presque aussi bien que son crochet. Mais il suffisait de remplacer le porte-mine par un autre objet, un coupe-papier ou simplement un autre crayon pour provoquer de nouveau toutes les grandes hésitations de l’aboulie. En un mot elle prenait bien un objet connu et habituel et mal un objet nouveau qui n’avait pas encore été pris. La difficulté du mouvement était en raison de sa nouveauté. Cette remarque une fois faite, il me fut facile de la vérifier dans toute la conduite de Marcelle. Elle est totalement incapable de causer avec un inconnu ; il lui a fallu deux mois pour s’habituer à me parler ; depuis elle me parle facilement. Je l’emmenais un jour dans un autre cabinet d’observation où elle n’avait pas encore été avec moi. Elle eut sur le seuil une crise d’aboulie interminable, tandis qu’elle entrait toujours facilement avec moi dans la pièce accoutumée. Ce caractère est encore visible dans la façon dont elle marche. A-t-elle adopté une direction, elle va précipitamment ; mais qu’un obstacle surgisse ou mieux qu’on l’appelle et qu’elle soit forcée de changer de direction, elle va rester immobile sans pouvoir se décider à partir. C’est toujours le début de l’acte qui est pénible. Mais il est nécessaire de bien entendre ce que j’appelle ici le commencement d’un acte ; ce n’est pas le fait matériel de mettre les muscles en mouvement, quand ils sont en repos. Ce fait existe aussi bien, quand il s’agit de mon porte-mine et quand il s’agit d’un coupe-papier. J’entends la formation de cet ensemble complexe d’idées et d’images par lequel il est nécessaire de se représenter l’acte pour prendre un objet déterminé. Cette synthèse n’est pas exactement la même pour un objet que pour un autre, et c’est la formation de cette synthèse qui est difficile chez Marcelle, tandis que la répétition de cette même synthèse quand elle a été déjà faite est facile. Pour reprendre les termes précédents, les actes automatiques sont les actes pour lesquels il sutfit de répéter une ancienne synthèse d’images déjà liées ensemble, en un mot les actes déjà