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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/279

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p. janet. — cas d’aboulie et d’idées fixes

voulus autrefois ; et la volonté, nous le comprenons ici par sa suppression, est la formation de ces synthèses nouvelles. Un acte n’est volontaire que par sa nouveauté.

Cette conclusion, même en évitant les discussions générales et en restant dans l’observation de notre sujet, soulève plusieurs difficultés.

Si l’on propose à Marcelle d’aller chercher un objet qu’elle n’a jamais pris, elle ne reste pas immobile absolument, elle se lève, étend le bras, etc., parvient à faire, en un mot, une partie des mouvements utiles. C’est que cet acte n’est pas absolument et entièrement nouveau ; il se compose d’une collection d’actes anciens qu’elle peut faire facilement.

Pourquoi donc, dira-t-on encore, dans certains jours de grave maladie, comme Marcelle en a trop souvent, s’arrête-t-elle complètement et perd-elle même les actes les plus habituels ? Elle ne sait plus me parler quoiqu’elle m’ait parlé cent fois ; elle ne sait plus s’habiller, se lever de sa chaise, etc. Je répondrai par une affirmation peut-être paradoxale, à laquelle les psychologues n’ont pas fait une attention suffisante, mais que la clinique des maladies mentales met ici bien en évidence. C’est qu’il n’y a pas d’acte absolument ancien et qui ne renferme une petite partie de nouveauté. Se lever aujourd’hui de sa chaise, ce n’est pas tout à fait la même chose que se lever hier : le temps, la température, les circonstances extérieures, l’état du corps et de l’esprit ne sont plus exactement les mêmes. Parler même à une personne très connue, c’est toujours une action nouvelle par quelque point. La personne à qui l’on parle, son costume, sa physionomie, le sujet du discours, tout cela change. On ne se baigne pas deux fois dans les mêmes eaux, disait le vieux sage : l’univers change incessamment et, quelle que soit l’identité apparente des circonstances dans lesquelles nous sommes placés, il y a toujours un changement, soit en dehors, soit en dedans de nous-mêmes, qui demande une adaptation nouvelle, un effort nouveau. Puisque l’avenir n’est jamais la répétition exacte du passé, un acte conscient n’est jamais un acte complètement automatique. Il faut toujours s’efforcer, inventer, vouloir un peu même pour répéter l’acte le plus habituel. Et quand la volonté de Marcelle descend à un degré vraiment trop bas, je ne suis pas étonné de lui voir perdre même les actes habituels.

La troisième difficulté que je rencontre pour expliquer les actes de Marcelle m’embarrasse beaucoup plus. Pourquoi donc au moment où elle est incapable de faire un acte nouveau par volonté, le fait-elle si facilement par suggestion ? L’acte de prendre un coupe-papier