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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/280

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qu’elle ne connaît pas est pourtant tout aussi difficile, tout aussi nouveau, quand elle le fait à la suite d’une suggestion, au lieu de le faire de son libre consentement. Je suis, je l’avoue, fort embarrassé pour me rendre compte de ce phénomène bizarre. Voici l’explication qui me semble la plus vraisemblable : ces deux actes, malgré l’apparence, ne doivent pas être absolument semblables au point de vue psychologique. La conscience de l’état de la personnalité à ce moment, la notion de l’objet nouveau, la connaissance des circonstances extérieures variables, tout cela qui constituait, comme nous l’avons dit, le côté nouveau de l’action, n’existe que dans l’acte accompli volontairement. L’acte suggéré se passe dans une conscience extrêmement rétrécie et n’exige pas la synthèse de tous ces détails, parce qu’il s’exécute sans que tous ces détails soient conscients. Marcelle vient de prendre le coupe-papier par suggestion et je la félicite de ses mouvements rapides : « Ce n’est pas moi », dit-elle d’un air boudeur, et elle répète toujours cette formule toutes les fois qu’elle a fait un acte de ce genre ; elle n’a pas rattaché cet acte à sa personnalité ; elle le constate sans avoir eu la perception personnelle des images nécessaires pour l’accomplir. Souvent d’ailleurs l’acte est absolument subconscient et Marcelle n’en a rien senti. Il ne faudrait pas en conclure que l’acte soit accompli ici par une autre personnalité inférieure à la première, comme chez des hystériques que j’ai décrites. Je n’ai jamais vu chez Marcelle la formation nette d’une seconde personnalité simultanée ; l’écriture automatique qui est restée rudimentaire ne présente pas ces chaînes continues de souvenirs subconcients qui forment le dédoublement de la parsonnalité. Non, les images de cet acte n’ont été rattachées à aucune personnalité ; elles se sont produites isolément à propos des paroles du commandement. Dans cet acte suggéré il n’y a pas non plus notion de l’objet ni du but de l’acte. Quand Marcelle veut prendre le coupe-papier volontairement, elle sait que c’est un coupe-papier qu’il s’agit de prendre ; que c’est pour me le remettre, et dans le but de s’exercer à des mouvements. Elle a pris le même objet par suggestion, et si je lui demande brusquement ce qu’elle tient dans la main, elle n’en sait rien. Je lui demande pourquoi elle prend cet objet, et elle ne sait que répondre. L’écriture subconsciente d’ailleurs ne répond pas mieux à ces questions. En un mot, si j’ose ainsi dire, l’acte exécuté par suggestion est un acte abstrait, dépouillé de toute notion de personnalité, d’objet, de but, qui entrent dans l’acte volontaire et en font la nouveauté perpétuelle.

Nous croyons donc malgré ces difficultés pouvoir conserver nos conclusions précédentes. Marcelle est une aboulique, elle a une