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garde les yeux grands ouverts sans les mouvoir, enfin elle laisse quelque temps les membres en l’air dans la position où je les mets, comme dans un état demi-cataleptique. Cette sorte d’attaque ne dura pas plus d’un quart d’heure. Marcelle poussa quelques soupirs, eut des larmes dans les yeux, puis comme faisant un effort sur elle-même, elle se remit à parler avec moi comme si rien ne s’était passé. Quand je l’interroge, elle répond : « Ce n’est rien, ce sont mes idées qui ont passé,… c’est comme un nuage qui passe. » J’ai trouvé cette expression assez pittoresque et dans une description de cette malade j’ai conservé ce mot de nuage pour désigner cette crise, et je me suis attaché à découvrir et à comprendre ce qui avait lieu dans son esprit pendant que le nuage passait.

Cette étude du nuage a présenté de grandes difficultés, car pendant la crise elle ne répond pas, et après la crise elle semble avoir tout oublié. Cependant peu à peu j’ai pu recueillir quelques renseignements par diverses méthodes. 1o Dans certains accès très légers et transitoires, je suis arrivé à obtenir d’elle quelques mots et quelques signes ; 2o à la fin de l’accès dans cette période de transition caractérisée souvent par des pleurs, elle a assez de souvenirs pour donner quelques indications qu’elle oublie l’instant suivant ; 3o en l’endormant assez profondément, on parvient à reproduire des états analogues au nuage par plusieurs caractères, mais dans lesquels elle reste en rapport avec moi et peut me répondre ; 4o enfin l’écriture automatique qui, ainsi que nous l’avons dit, existe chez ce sujet, nous a fourni différents renseignements que par aucun procédé nous ne pouvions obtenir oralement.

En groupant ces divers renseignements, nous dirons que le nuage est une sorte de crise d’idées si on peut ainsi dire. C’est une période de durée très variable qui peut ne pas dépasser un quart d’heure ou bien se prolonger pendant des jours ou même des semaines ; pendant cette période, la malade n’est plus du tout en relation avec le monde extérieur, ne sait plus rien de ce qui se passe autour d’elle et s’abandonne entièrement à l’automatisme de certaines idées à peu près toujours les mêmes, qui se déroulent régulièrement dans son esprit. Supposons une crise d’hystérie dont on aurait supprimé les premières périodes convulsives, en ne conservant que la dernière phase délirante et nous aurons une idée de cette crise de Marcelle. Certains petits signes justifient d’ailleurs cette comparaison. Il y a, en cherchant bien, quelques petits mouvements convulsifs des paupières et des yeux, une légère constriction de la gorge au début de l’attaque ; il y a des soupirs et des pleurs à la fin. En un mot, les phénomènes convulsifs de la crise d’hystérie sont atténués au point