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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/283

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p. janet. — cas d’aboulie et d’idées fixes

de disparaître presque complètement et les phénomènes moraux du délire subsistent seuls. Mais les convulsions peuvent reparaître comme nous le verrons plus tard, et légitimer notre comparaison du nuage avec les formes frustes de la crise hystérique.

Les idées qui envahissent l’esprit à ce moment ont toujours un même caractère. Elles se présentent sous la forme d’images extrêmement vives ou complexes qui ne sont contredites par rien et qui donnent à la malade l’illusion complète de la réalité. Remarquons-le bien, car c’est un point important pour la théorie de cette maladie : Marcelle n’a jamais aucun doute, aucune hésitation sur les idées, même les plus absurdes, quand elle est plongée dans le nuage. Ces idées ne sont pas alors des pensées plus ou moins vagues sur lesquelles le sujet s’interroge lui-même ; elles s’accompagnent toujours de véritables hallucinations.

Passons en revue quelques-unes de ces hallucinations en commençant par les moins fréquentes. Marcelle n’a jamais eu, je crois, d’hallucination du goût, de l’odorat, ou du tact. Elle a quelquefois des hallucinations de l’ouïe et me dit entendre des bruits, de la musique. Quelquefois elle sursaute, tourne la tête de côté et paraît écouter ; c’est qu’elle s’entend appeler dans le lointain, mais cela est rare et n’arrive que dans les très grandes attaques.

Beaucoup plus souvent elle a des hallucinations visuelles : elle voit des bêtes noires s’agiter devant elle ; elle croit son lit couvert de souris qui veulent lui ronger le poignet. Elle voit de côté des gens qui la poursuivent, qui veulent la tuer ; ils ont des figures horribles et elle a une grande peur sans pouvoir cependant bouger. Pendant plusieurs mois elle a eu une crise d’hallucinations visuelles beaucoup plus importante et plus caractéristique. Il y a à peu près six mois, pendant une courte sortie qu’elle fit hors de l’hôpital, elle avait assisté à une scène très pénible qui avait fait sur elle la plus vive impression. Nous ne pouvons, par discrétion, décrire cette scène en détail. Depuis cet événement, Marcelle voyait dans toutes ses crises de nuage la scène se reproduire exactement ; le même décor, les mêmes personnages, les mêmes attitudes, tout se répétait exactement, et cette pauvre malade restait des journées entières absorbée dans cette contemplation pénible. Toutes ces hallucinations, sauf peut-être la dernière qui était grave, ne formaient qu’une minime partie des phénomènes remplissant l’esprit pendant le nuage. Elles cédaient ordinairement la place à une autre catégorie d’images beaucoup plus fréquentes et plus importantes.

Comme ce nouveau phénomène occupe une place capitale dans la