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maladie dont nous nous occupons et que, d’autre part, il est encore peu connu et assez difficile à bien comprendre, nous devons y insister un peu. Marcelle, en un mot, se plaint que pendant le nuage « on lui parle dans la tête,… que sa tête parle constamment ». Que veut-elle dire et de quoi s’agit-il ?

Depuis longtemps, les auteurs qui ont décrit les aliénés ont remarqué qu’un certain nombre de ces malades se plaignent qu’on leur parle, mais que ce phénomène n’est pas du même genre chez tous. Certains d’entre eux, les plus simples, furent facilement compris. Voici par exemple une persécutée qui se plaint d’être tourmentée par sa sœur Joséphine : « C’est insupportable, dit-elle, que Joséphine puisse ainsi entrer partout ! quand j’étais à Ville-Évrard, elle s’était mise dans la pièce au-dessus de mon lit, d’où elle m’insultait constamment. Maintenant je viens à la Salpêtrière et Joséphine est encore là, dans la pièce au-dessus de l’infirmerie quand je dors, et dans la pièce au-dessus de l’ouvroir quand je travaille. — Êtes-vous bien sûre que Joséphine ait pu entrer ici ? — Certainement, j’entends bien sa voix, je la reconnais ; laissez-moi monter dans la chambre en haut, et je vous montrerai que Joséphine y est. » Cette description se comprend de suite : la malade entend de véritables voix avec un timbre reconnaissable, une localisation extérieure déterminée, etc. : ce sont des hallucinations du sens de l’ouïe. Mais voici d’autres malades plus embarrassantes. « On me parle tout le temps, dit l’une d’elles, on me dit qu’il faut aller demander pardon au pape. — Connaissez-vous la voix qui vous parle ? — Non, je ne la reconnais pas, ce n’est la voix de personne. — Cette voix est-elle loin ou près ? — Elle n’est ni loin, ni près, on dirait que c’est dans ma poitrine. — Est-ce comme une voix ? — Mais non, ce n’est pas une voix, je n’entends rien, je sens qu’on me parle. » Ce phénomène a embarrassé tous les aliénistes, les uns l’ont appelé hallucinations psychiques, ce qui ne l’explique guère ; les autres lui donnent le nom de voix épigastriques, ce qui en indique à peu près le siège habituel, mais non la nature. Ce sont les récentes théories sur le langage et les images qui le constituent qui ont permis de débrouiller ce mystère. Plusieurs auteurs ont indiqué vaguement cette explication, que M. Séglas a formulée d’une manière définitive[1].

Le langage est un fait psychologique très complexe. Il est représenté dans notre esprit par des images nombreuses et différentes empruntées à des sens différents. Il comprend en effet des images

  1. J. Séglas, De l’hallucination dans ses rapports avec la fonction du langage, les hallucinations psycho-motrices. Progrès médical, 18 août 1888, p. 124 et 137.