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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/287

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p. janet. — cas d’aboulie et d’idées fixes

temps ; il ne cesse que quand je le regarde. » Or cela était parfaitement faux, son bras droit ne remuait pas, mais elle se figurait qu’il remuait. C’est là une hallucination du sens musculaire ou kinesthésique et qui cependant n’est pas verbale. Il faut donc, pour caractériser entièrement les anciennes voix épigastriques, ajouter encore, comme l’a fait M. Séglas d’ailleurs, le mot verbales et dire que ce phénomène consiste en hallucinations kinesthésiques verbales. Le mot kinesthésique ne change rien sans doute à la théorie de M. Séglas ; il est peut-être moins commode, mais il nous paraît plus précis.

La nature générale de ces hallucinations une fois reconnue, il faut se demander quel en est le contenu. Qu’est-ce que ces voix disent aux malades ? Nous retrouvons ici tous les degrés de l’automatisme que nous avons déjà signalés pour les mouvements et pour les hallucinations ordinaires. Dans le cas le plus simple comme chez D., la malade sent répéter au dedans d’elle-même tous les mots qu’elle entend prononcer au dehors ; c’est une sorte de degré faible de l’écholalie[1]. Une autre. F., répète en dedans et malgré elle le nom des objets qu’elle voit : « C’est un pavé, c’est un arbre, c’est un tas d’ordures », disent les voix quand elle est dans la rue. C’est une sorte d’écholalie visuelle. Dans d’autres cas, le phénomène se complique, les voix intérieures de FI. procèdent par calembours, celles de B. par associations d’idées. Je parlais un jour à un homme atteint de cette maladie ; je lui conseillais d’éviter la boisson, et de suivre un régime sobre et hygiénique. Il paraissait m’écouter avec distraction : « On me parle encore en dedans, dit il. — Que vous dit-on ? — Une bêtise. — Laquelle ? — On me répète : cresson de fontaine, cresson de fontaine… » Enfin les voix peuvent devenir plus complexes encore et répéter une phrase que le malade a entendue autrefois et qui l’a vivement ému ou reproduire des idées qui ont autrefois frappé l’imagination. Une brave femme d’esprit assez faible, R., entend un jour sa concierge décrire un hôpital de fous qu’elle vient de visiter. « Vous figurez-vous, disait la concierge aux voisines toutes tremblantes, qu’il y a de ces pauvres folles qui se croient reines ! » R. rentre chez elle dans un grand trouble et depuis elle sent presque constamment une voix intérieure lui répéter : « Tu es reine,… ton mari est roi,… il faut bien laver l’escalier, la cour va venir,… etc. » On voit que ces hallucinations kinesthésiques verbales peuvent passer par tous les degrés de complication, comme les rêves ou l’écriture automatique des médiums spirites.

  1. M. Séglas a déjà rapporté deux cas analogues (Deux cas (d’onomatomanie, écholalie mentale, Société médicale des hôpitaux, 12 avril 1889).