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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/69

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b. perez. — le caractère et les mouvements

n’est pas toujours de la patience, est d’ailleurs une qualité toute négative, quoique ayant son prix ; s’ils n’ont pas peur, c’est qu’ils ne s’émeuvent pas fort. Le courage instinctif leur est plus facile que le courage raisonné. Poussés à bout, ou effrayés par contagion, ils vont, dans leur colère ou dans leur effarement, courant, frappant en aveugles, comme des bœufs affolés que rien n’arrête et ne modère.

Avec leur imagination rarement très active, leur jugement paresseux, leurs désirs peu violents et peu obsédants, leur tendance à s’abandonner plus ou moins au courant des choses, les lents n’ont jamais un amour-propre bien développé sous toutes ses formes. On en voit qui n’ont pas la moindre vanité ; elle prend autrement chez eux les airs d’une tranquille suffisance ; où d’autres se contentent de montrer leurs qualités réelles ou supposées, ils les étaient. Ils ont plutôt la fierté professionnelle que la vraie fierté morale ; ils parlent souvent d’estime, de considération, et ce sont choses qu’ils ont à cœur, d’autant plus que les témoignages extérieurs en sont faciles à observer. Quant aux fiertés généreuses, qui souvent sont fondées sur des nuances délicates, et qui impliquent presque toujours une sensibilité ardente, ils ont plus de peine à les remarquer chez les autres et à les éprouver eux-mêmes. Ce qui peut chez eux paraître de la fierté n’est souvent que de la susceptibilité. Le plus souvent ils n’ont ni assez d’orgueil, ni assez de fierté, ni même assez de vanité. J’en sais de gais, qui racontent fort tranquillement les tours qu’on leur a joués ou les quolibets auxquels ils ont prêté par leur conduite ou par leur langage. Heureuse mollesse, indifférence précieuse, qui leur sont souvent comptées pour du mérite et pour de la sagesse.

V. — Le calme extérieur, et plus ou moins complet des lents-ardents, recouvre une sensibilité profonde, aux obsessions passionnées, féconde en rêveries sentimentales. Un tel état, même sans complication de maladie, et en dépit de la douceur et des caresses du milieu, entraîne quelque sérieux d’humeur. Même chez ceux dont la lenteur n’est pas très accusée, et qui rentreraient par certains côtés dans la classe des vifs, la gaieté ne brille et n’éclate que par échappées. Mais, vivant d’imagination autant que de sentiment, ils connaissent des joies intimes et très intenses, joies sensuelles, affectives, esthétiques, morales. Leurs colères, surtout quand le milieu où ils ont vécu les a laissés assez calmes, deviennent de plus en plus rares, sans cesser d’être impétueuses. La force qui est en eux ne se manifeste tout entière que dans certaines circonstances exceptionnelles : c’est le tempérament de l’eau dormante, du volcan sous la glace. La souffrance, facilement exagérée par leur imagination, et dont ils ont moins que d’autres la faculté de se débarrasser par la distraction