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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/70

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des idées et la diffusion des mouvements, produit en eux des refoulements et des froissements singuliers ; ils s’en repaissent comme d’autres de leurs plaisirs, ils savourent leurs indignations secrètes avec une sorte de jouissance âpre et orgueilleuse. Le rôle de martyr leur va mieux qu’aux vifs, qui ont la joie ou l’oubli plus facile, et qu’aux lents, que leur indifférence protège, et peut-être même plus facile qu’aux ardents, qui sont toujours quelque peu bourreaux des autres.

Dominés plus qu’entraînés par la passion, ils en subissent les effets avec plus d’intensité et de persistance. Ils ont les rancunes plus ou moins longues, mais comme adoucies par leur paresse à les rendre terribles : l’ardeur les emporterait, la lenteur les retient ; il se fait un compromis entre ces deux états ou tendances. Et puis, la passion, chez eux couvée et surchauffée, est trop forte pour qu’elle permette à un autre état d’âme de se développer beaucoup en même temps ; et comme ils ne peuvent pas vivre sans passion, il leur en vient toujours quelque nouvelle, à point nommé, pour chasser le souvenir de celle qui les a rendus malheureux, malheureux, dit-on, par leur faute. Comme dans leur courage, à la fois impétueux et concentré, il entre toujours un peu de sang-froid dans leurs passions les plus déchaînées. Tout à leurs affections du moment, ils en sont dominés et en même temps les dominent. L’imagination et les sens en font les frais plus que la bienveillance, la pitié, la tendresse, en un mot, la bonté. Ce n’est pas qu’ils ne puissent être bons, et même très bons ; mais dès que la passion intervient, l’ange est près du démon. Ils idéalisent les objets de leur adoration, et par conséquent ne les voient pas vrais ; aussi ces objets passent-ils tour à tour du rang d’idole au rang de hochet brisé. Généreux, dévoués jusqu’au sacrifice, quelquefois Jusqu’à la complaisance pour ceux qu’ils aiment, tant qu’ils les aiment, leurs affections de famille, quand la contrainte ne leur en a pas paru trop austère, sont naturellement plus pondérées, plus sages, plus constantes ; mais rarement ils ont le temps d’être à elles tout entiers, si ce n’est quand l’âge ou un entourage exceptionnellement favorable a apaisé la fougue de leurs âmes volcaniques.

Ces caractères rendus sérieux et concentrés par la prédominance exclusive de la passion, doivent peu connaître la vanité mesquine, qui court à ce qui brille, et se plaît à y brûler ses ailes. Leur personnalité, nécessairement attristée par leur imagination sentimentale, avec une préoccupation constante de leurs sentiments les plus intimes, doit développer en eux un amour-propre d’autant plus profond qu’il se traduit moins par des manifestations motrices. Ils ont une fierté qui peut se voiler de modestie ou de patience apparente, mais qui n’en est pas moins très chatouilleuse. Leur fierté peut