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les autres, de diverses manières, sans songer au moment même, à la signification primitive de chacun d’eux. » Dans les mathématiques effectivement, le raisonnement est devenu automatique à un si haut degré, que les mathématiciens ont presque tous perdu de vue le point de départ, et qu’on les étonne beaucoup, quand on leur rappelle que les symboles des mathématiques ne sont pas de pures créations de l’esprit, que la matière façonnée par l’analyse ne consiste pas en définitions arbitraires, et qu’elle n’est que l’expression de faits d’expérience. Les mathématiciens ont totalement oublié qu’un symbole n’est un symbole qu’autant qu’il symbolise quelque chose, et que sous chaque signe il y a la chose signifiée.

Malgré cet oubli de la chose, et le souci du signe, les raisonnements des mathématiciens sont cependant rigoureux et les résultats auxquels ils parviennent sont exacts, mais on ne peut dire qu’ils aient une notion adéquate de la science sur laquelle s’exercent leurs efforts.

Une science n’est complète, elle n’est science, que si l’on est en mesure de rétablir, sous chaque résultat symbolique, le fait concret représenté, quelque compliqué qu’il soit ; il faut, par suite, que les notions qui servent de point de départ soient bien fixées et ne restent point dans un vague recherché par le littérateur, accepté par l’homme pratique, mais que le logicien et le philosophe ne peuvent admettre.

C’est cette analyse des notions fondamentales qui constitue le trait d’union le plus étroit entre les sciences et la philosophie et qui permet à chacune de se compléter par l’autre. Comme on l’a dit, si les sciences doivent former le fond de la philosophie, la philosophie peut seule éclairer les sciences. L’analyse logique scientifique, d’une part fixe la valeur spécifique des concepts qui importent à la science ; d’autre part, l’examen général de ces concepts, poursuivis dans toutes les branches de la science, permet seul de rétablir l’enchaînement des relations.

Je me placerai, pour faire cette analyse, au point de vue exposé d’une manière si précise par Herbert Spencer dans son étude du raisonnement (Principes de Psychologie, t.  II, 1re partie). J’admettrai que la connaissance ne porte pas sur des choses mais sur des relations, ou pour mieux dire, j’admettrai que les choses, objets de la connaissance, se résolvent en relations. J’admettrai aussi que les relations ne sont pas créées par l’esprit, par la raison, mais qu’elles dérivent des faits d’expérience, qu’elles sont la traduction des impressions extérieures reçues et assimilées par l’esprit (voir Logique de Mill, t.  II, p. 194). Je prends d’ailleurs le mot expérience