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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/79

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g. mouret. — force et masse

notre énergie musculaire, soit en résistant, soit en produisant nous-même le mouvement est une expérience unique et irréductible. » La matière, la force, l’inertie ne sont, d’après cet auteur, que trois mots pour représenter le même fait : « Au fond, il n’y a qu’une seule expérience, bien que cette expérience comporte des circonstances diverses, à savoir : l’expérience du déploiement de la force musculaire pour produire le mouvement ou pour lui résister. À cette expérience, nous donnons les noms de force et de matière qui sont, non pas deux choses, mais une seule et même chose. »

« L’inertie n’est encore qu’une autre expression du même fait. On ne fait qu’une tautologie en définissant l’un de ces termes par les deux autres. La matière est précisément ce qui donne lieu à l’expérience qu’on appelle aussi la force. La force n’est que de la matière en mouvement, ou qui s’oppose au mouvement. »

Il est bien évident, d’après ce qui précède, que la force, pour le Dr Bain, n’est pas autre chose que ce que Spencer désigne sous le nom de résistance ou effort musculaire (Principes de Psych., t.  II, chap.  xvii). Spencer expose la genèse de cette idée de force à peu près de la même manière que le Dr Bain (voir notamment t.  II, p. 241) ; il ajoute que « nous devons penser nécessairement la force au moyen des termes formés par notre expérience, que nous devons construire ce concept à l’aide des sensations que nous avons reçues », et il en conclut que notre notion de force est une généralisation des sensations musculaires. Stuart Mill a aussi exprimé les mêmes idées (Philosophie d’Hamilton, p. 355).

Ainsi donc la force, d’après Spencer, Mill et le Dr Bain, n’est que le sentiment, ou la notion de la résistance, sentiment qui accompagne la sensation musculaire. C’est aussi la signification qu’on attache au mot force dans le langage vulgaire.

Mais si la force mécanique n’était pas autre chose qu’une notion suggérée directement par une sensation, si elle n’était qu’un concept psychologique, elle ne serait pas susceptible de mesure ; nous n’aurions aucun moyen d’apprécier si deux forces sont égales (dans le sens mathématique du mot) ou inégales, car nous ne pouvons définir l’égalité de deux sensations, et il n’existe aucun moyen de vérifier leur identité, ou exacte ressemblance.

Cependant, en mécanique, nous avons à considérer des forces égales ou inégales ; nous pouvons additionner ou soustraire des forces, leur faire subir toutes les opérations que l’on étudie en analyse, et par conséquent la force mécanique ne peut être une notion dérivée directement de nos sensations ; elle a une origine plus complexe. Sans doute, elle est une fonction de la sensation de résistance puis-