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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/86

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n’avons qu’à retenir ce fait fondamental, c’est que la matière communique son mouvement, mais que cette communication est seulement partielle ; une partie de l’accélération est détruite. Il y a donc dispersion de mouvement, dans la transmission du mouvement sans choc et par contiguïté.

On se fera une notion plus adéquate de la force d’inertie, en examinant ce que deviendraient nos idées de mouvement, si la seconde partie de la loi de transmission du mouvement était différente de ce qu’elle est en réalité.

Supposons, par exemple, que non seulement un corps en repos modifie le mouvement que tend à prendre un autre corps, mais encore que certains corps, à l’état de repos, puissent détruire entièrement un mouvement quelconque. Alors notre esprit acquerrait une notion nouvelle, actuellement inconnue, car nous pourrions établir deux classes de corps, deux sortes de matière, — ou même trois sortes de matière, si nous admettons en outre qu’il y ait des corps qui, à l’état de repos, ne puissent modifier en rien, par le contact, le mouvement des autres corps. Il y aurait la matière non résistante, la matière résistante et la matière fixe. De telles conceptions ne sont pas contradictoires ; en fait, elles existent et ont existé dans certains esprits. L’éther des physiciens est souvent conçu comme non résistant ; les esprits peu cultivés n’attribuent aucune résistance aux gaz ; les mystiques croient aux fantômes et apparitions, sortes de corps visibles, mais dépourvus de résistance. D’un autre côté, le vulgaire se représente une très grosse masse, relativement au corps humain, comme un corps fixe, et les gens qui ne sont pas versés dans les sciences, admettraient difficilement que le frôlement d’une mouche, ou l’agitation d’un infusoire suffise pour imprimer un déplacement à la masse du soleil. Dans l’antiquité, ou a cru qu’un certain petit poisson, l’Echeneis ou Rémora, pouvait arrêter les mouvements d’un vaisseau, lorsqu’il se fixait sur ses parois[1] ; on admettait donc que ce petit être possédait une résistance infinie par rapport aux corps flottants.

Toutes ces conceptions sont possibles ; elles n’impliquent aucune contradiction dans la pensée, mais elles ne correspondent pas à la réalité, puisqu’on n’a jamais constaté qu’un corps, c’est-à-dire une portion du monde extérieur, jouisse de propriétés différentes de celles qu’on attribue à la matière ordinaire. L’expérience constante des générations passées, expérience qui a modelé notre structure men-

  1. Pline, Hist. nat., XXXII ; in Whewell : History of the Inductive Sciences, I, p. 245