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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/90

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Je montrerai, dans un autre travail, comment on peut parvenir à établir que la masse n’est pas une notion seulement vaguement quantitative, mais qu’elle est une véritable quantité.

Aussi, on a souvent défini la masse comme étant la quantité de matière contenue dans un corps. C’est la définition adoptée dans un livre empreint, cependant, d’un véritable esprit philosophique, le traité de Lazare Carnot sur l’équilibre et le mouvement. La masse, selon Carnot, c’est l’espace effectif qu’occupe un corps, c’est-à-dire sa quantité réelle de matière.

Cet énoncé est double ; la première partie repose sur une pure hypothèse et la seconde partie n’a évidemment aucun sens. Car, par lui-même, le mot quantité de matière ne possède pas de signification ; il faudrait le définir, et on ne peut le définir qu’en définissant la masse. Au reste, la matière est un mot qui désigne un concept psychologique, et non un concept logique, et la matière n’est pas susceptible de mesure. Si l’on emploie souvent l’expression quantité de matière, c’est parce que l’attribut logique le mieux connu, l’attribut fondamental de la matière, c’est l’inertie, la masse, et que notre langage réaliste se prête volontiers à la confusion des concepts psychologiques et logiques.

Nous pourrions, avec tout autant de raison, appliquer le mot quantité de matière à l’énergie par exemple, car l’énergie et la masse jouissent toutes les deux de la propriété de la « conservation ». Si nous ne le faisons pas, c’est que le concept d’énergie est de date trop récente, et de nature trop complexe pour être assimilé facilement par l’esprit.

De toute manière, quels que soient les synonymes que l’on emploie sous prétexte de définir la masse, notre notion de masse dérive d’un seul et même fait qui est cette réduction, en plus ou moins grande proportion, de l’accélération du mouvement, dans la transmission du mouvement par contiguïté. Dire, avec Lavoisier, que rien ne se perd et rien ne se crée, ce n’est pas dire autre chose que tout système isolé, pris à un état quelconque, après des modifications quelconques, réduira toujours de la même valeur l’accélération du corps auquel il sera opposé.

On a souvent aussi tenté de définir la masse par la force ; cela est possible, car la force se définit, ou peut se définir indépendamment de la masse, mais c’est renverser l’ordre logique des définitions. La notion de masse est plus abstraite que la notion de force ; elle repose sur des relations d’un ordre plus général, puisqu’elle dérive de l’inertie. La définition de la masse par la force, n’est au fond qu’une manière détournée d’énoncer la loi fondamentale qui relie la masse.