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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXI, 1891.djvu/98

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contiguïté », opposée à une relation négative, concevable mais non réalisable. Cette relation donne naissance au concept d’inertie, d’où dérivent les concepts masse ou moment d’inertie. Nous apprenons ainsi que les corps en mouvement possèdent une certaine résistance, toujours inférieure à la puissance des corps en mouvement (j’emploie ici les expressions quantitatives pour simplifier le langage). Un corps en repos détruit en partie le mouvement d’un autre corps ; il ne le détruit jamais totalement. Les corps qui tendent à prendre un mouvement jouissent, au contraire, de la propriété de détruire totalement certains mouvements des autres corps, et à cette propriété spéciale aux corps qui tendent à prendre un mouvement, correspond la notion de force (ou de couple de forces). La relation qui existe entre des corps dont les tendances au mouvement s’entre-détruisent mutuellement, ou si l’on aime mieux, l’attribut de tels couples de corps, c’est l’équilibre. La force est ainsi un attribut spécial aux corps qui tendent à prendre une certaine accélération, et cet attribut a pour fondement la relation d’équilibre, considéré comme cas particulier de la transmission de mouvement.

La force n’est donc, ni la sensation musculaire d’effort ou de résistance, ni la cause d’un mouvement, ni le mouvement lui-même ; ce n’est pas quelque chose de distinct d’un corps qui tend à prendre un mouvement, c’est un attribut d’un tel état des corps, et nous ne pouvons acquérir la notion de force, tant que nous ignorons les phénomènes d’équilibre et ceux de non-équilibre.

Que la force dépende nécessairement du phénomène d’équilibre, c’est ce qui vient d’être expliqué tout au long ; mais que la notion de force soit subordonnée à celle de non-équilibre, c’est ce qui paraîtra peut-être moins évident. Cependant on doit observer que l’équilibre ne nous est connu, n’est concevable, que si nous connaissons le mouvement, autrement nous n’aurions aucun moyen de distinguer l’équilibre du repos. Connaître la relation d’équilibre entre deux corps, c’est connaître la relation contraire, car, comme Spencer l’a montré avec la dernière clarté, la connaissance n’est, au fond, que la perception d’une différence. Mais connaître la relation de non-équilibre c’est savoir que, dans certains cas, deux corps, dont l’un au moins tend à prendre un mouvement, auront un mouvement commun, et que le mouvement de l’un d’eux ne sera pas totalement détruit.

Cependant la notion de force n’est pas subordonnée à celle d’inertie. Il n’y a pas d’impossibilité à concevoir qu’une matière, qui àl’état de repos ne présente aucune résistance, possède au contraire, quand elle tend à prendre un mouvement, la propriété d’équilibrer les mouvements de certains autres corps.