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Page:Richardson - Histoire du chevalier Grundisson, Tome 1, 1763.djvu/380

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Histoire

lu attentivement les Histoires tristes, sur-tout celles des jeunes femmes qui étoient engagées dans des peines & des difficultés ? Votre compassion pour autrui n’étoit-elle pas plus vive ? Votre attention n’étoit-elle pas diminuée pour vous-même ? Mais l’incertitude ne vous sembloit-elle pas le plus rude de tous les tourmens ? Je me souviens, ma chere, que vous viviez sans boire & sans manger, vous n’en étiez pas moins fraîche. L’Amour est peut-être, pour les Amans, ce que la Manne du Ciel étoit pour les Israélites : mais on peut s’en plaindre comme eux, & murmurer d’en avoir trop. Votre sommeil, je m’en souviens aussi, étoit interrompu. Vous étiez troublée par vos songes. C’étoient des montagnes, des précipices où vous rouliez continuellement ; des tempêtes ou des inondations qui vous emportoient ; des eaux profondes où vous vous abymiez, des flammes, des voleurs, & d’autres imaginations.

Qu’on se rappelle volontiers tout ce qu’on n’a pas clairement conçu dans l’examen d’autrui, quelqu’intérêt qu’on y ait pu prendre, lorsqu’on appréhende de se trouver dans le même cas ! Je sais néanmoins que tout ce que je dis ici, & que vous ne vous souviendrez pas d’avoir éprouvé, peut venir du danger, de la terreur où m’ont jettée les violences de Sir Hargrave Pollexfen. Combien de fois tout ce qu’il m’a fait souffrir ne s’est-il pas représenté dans mes songes !