Page:Rolland - Beethoven, 1.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
83
LES GRANDES ÉPOQUES CRÉATRICES

seul, de ses passions, de ses combats, et de son Dieu, le monde extérieur ne figure qu’en reflet, en écho, en symbole du drame intérieur. Beethoven est, d’ailleurs, incapable de voir la vie propre d’autres êtres. La sienne est trop énorme, elle est la mesure de tout. Il la projette en tout. D’autres artistes, comme Mozart et Haydn, moins remplis de la leur, peuvent faire place en eux à l’observation du dehors. Mozart épouse les âmes, Haydn a le regard fin et la touche malicieuse. Beethoven ne sort guère du Moi ; mais ce Moi est univers. Meme ce qu’il voit du dehors —• la Nature — sur-le-champ s’y incorpore, perd ses caractères propres, prend la forme et l’odeur du Cosmos beethovenien. L’imitation — (qui a toujours été, quoi qu’on dise un des premiers instincts de l’artiste, une source qui l’alimente) — est, chez Beethoven, extrêmement réduite, ou fabuleusement transformée par le jet du regard, toujours partial, toujours passionné, toujours chargé de sa lourde vie intérieure. Si donc Beethoven a pensé à Bonaparte, c’est après coup, en cherchant dans le cercle des vivants, autour de lui, comme un miroir, un visage qui renvoyât à sa solitude l’image de son moi omni-présent. Au premier geste du prétendu modèle, l’illusion se brise violemment 1 Beethoven, indigné, déchire le nom de Bonaparte ! L’erreur de Hans von Bülow n’était, en somme, pas beaucoup plus forte, (mais elle était, à son image, plus ridicule) » quand il affublait l’Héroïque du nom de Bismarck ! Chacun pourrait, tout aussi bien, se livrer à ce petit jeu des ressemblances, dont le jeune Hamlet, insolemment, avec les nuages de la Baltique, s’amuse à la barbe de Polonius. En