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LES GRANDES ÉPOQUES CRÉATRICES

Nous les trouvons dans les premières Sonates, — côte à cote, tour à tour, rarement harmonisées. Le jeune Rhénan, émigré dans la ville du Danube, était le confluent de deux fleuves sortis du levant et du couchant. Rempli de l’esprit individualiste du temps et de ses revendications orgueilleuses, il débordait d’un moi, riche en douleurs et en joies passionnées, ombres et lumières, violents contrastes, moins profond encore qu’intense : — (et c’est pourquoi l’époque nouvelle se reconnut en lui : car il différait moins d’elle, h cette date, par la qualité des sentiments que par la température à laquelle son brasier les portait). — Ce moi, il entendait l’étaler, l’imposer, en faire manger et boire aux autres le pain et le vin, les amours et les peines, les élans et les abattements, les méditations et les batailles... Jean-Jacques le Confesseur, devenu l’alcyon des tempêtes de la Révolution. ..

Mais en même temps, il avait été nourri de la grande tradition morale et esthétique de l’Ancien Régime finissant, -— de cette forte discipline qui subordonne à l’œuvre l’ouvrier, —- de ce génie bâtisseur, entretenu par deux siècles de labeur désintéressé, et devenu instinct comme celui des abeilles, qui lui léguait des formes à achever, des monuments pareils à ceux du moyen âge, que les générations se passaient de main en main, jusqu’à ce que la flèche couronnât l’édifice. Il était le maître d’œuvre qui avait reçu de Bach, des Mannheimer, de Haydn et de Mozart, la forme-Sonate à réaliser dans sa logique et sa beauté complètes ; il se sentait, appelé à en élargir le plan et à l’éterniser, à s’en faire le Bramante.