Page:Rolland - Beethoven, 1.djvu/397

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
356
BEETHOVEN

par ailleurs imparfaitement douée pour s’exprimer x, un pathétique caché qui, plus tard, atteindra à la grandeur, et, par éclairs, à la sublimité... Ah ! qu’ils se doutent peu de ce qu’elle fut vraiment, ceux qui la jugent intellectuelle et froide !

Qu’ils lisent les lettres écrites à ses sœurs, en 1805 2, où elle leur dit la passion qu’elle ressent pour un jeune officier 3, — notamment la lettre à sa mère, du 29 septembre 1805 où, celui qu’elle aime ayant disparu, dit-on, dans une bataille contre la France, elle croit le voir en rêve, tout sanglant, et écrit :

1. L’âme dépasse l’expression : elle était trop brûlante, complexe et bouleversée. Il eût fallu, pour la maîtriser dans le style un génie non seulement du cœur, mais du métier, dont sa classe, son monde et sa vie agitée n’enseignaient point la discipline. Thérèse, qui parle ou qui lit une quantité de langues anciennes et modernes, écrit également mal l’allemand et le français ; ils s’entremêlent en son Journal. Mais de la confusion de ce style incorrect jaillissent çà et là des éclairs de passion, do douleur, d’héroïsme, des intuitions saisissantes. L’âme vraiment noble, vraiment vraie, se débat sous l’enveloppe où elle est exilée. El elle se sait exilée et trahie par soi-même. Elle l’exprime, parfois, magnifiquement.

2. Publiées partiellement dans LaMara : Beethoven und die Brunsviks, p. 57, 65.

3. a Ce sentiment qui commande la plus faible de mes actions, ce contentement (Befricdigung) intime, qui me rend indifférente pour tout ce qui n’est pas lui, celte inquiétude profonde, celle anxiété (Bangigkeit), ce ravissement (Wonnerauch), ces indicibles mouvements de l’âme, celle transformation (Umwandlung) complète de tout mon être moral... Je comprends autrement, je vois autrement, tout m’apparaît dans une lumière plus haute, plus claire, comme si un voile m’était arraché des yeux... Je vis une nouvelle vie... Et je pleure du bonheur qui me remplit... » (février 1805).