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BEETHOVEN

fille — (si résistante ! qui survécut à toute sa famille, et vécut quatre-vingt-six ans !) —- cette chaste femme, qui ne connut autour de son cou que les petits bras des enfants des autres, des milliers de petits orphelins qu’elle adopta, •— était, risquait toujours d’être la proie des puissances de l’âme inconnue, et livrée aux hasards de leurs coups de vent. Et elle le savait, avec honte et effroi. Elle était faite pour comprendre le tragique de VAppassionata, qui fut dédiée à son frère, et qu’elle fut la première à entendre, peut-être à jouer.

Au reste, elle avait une sûre intelligence, un grand goût de l’esprit, qui la menait, d’instinct, au plus haut, au plus beau. En janvier 1805, envoyant à ses sœurs Guillaume Tell de Schiller, qu’elle vient de découvrir, elle écrit : « — Vraiment, aussi longtemps que Schiller et Beethoven créent, on ne doit pas souhaiter de mourir !... » Et ce mot de la jeune fille sur Beethoven va rejoindre, à plus d’un demi-siècle de distance, celui de la vieille femme, évoquant le souvenir du grand ami disparu et rapprochant malgré son énergie et sa haute raison, pas la première surprise des sens et de l’imagination :

« Dcr Augenbliek beherrscht mein besseres Wollen, auch das augenbHckliche Gefiihl herrscht... (Ma meilleure volonté est servante de Vins- •anl ! Le sentiment d’un instant est mon maître !... r>) (mai 1810.1 Pour cette hère femme, quel sursaut de révolte et quelle humiliation !

« Qu’à la première tentaiion, js m’abandonne sans résistance ! Quand serai-ie ferme et sûre de moi ? Quelle angoisse !... Ai-je seulement conscience des passions qui sont en jeu ?.., »