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BEETHOVEN

En tout ceci, je viens de décrire l’homme de 1800, le génie à trente ans. En tout ceci, des traits puissants, blessants, qui dénotent un abus de la force, mais la force, une mer intérieure, immense, qui ne connaît point ses bornes. Mais les risques sont grands qu’elle ne se perde dans les sables de l’orgueil et du succès. Le Dieu qu’il porte en lui, sera-t-il un Lucifer ?…

« Dieu » n’est pas dans ma bouche une image littéraire. Quand on parle de Beethoven, il faut parler de Dieu : Dieu lui est la première, la plus réelle des réalités. Nous le verrons, tout du long de ses pensées. Il peut le traiter en égal, ou en maître. Il peut le regarder comme un compagnon de sa vie, qu’il rudoie, comme un tyran, qu’il maudit[1], comme un morceau du Moi, ou comme un rude ami, un père à la main dure, qui bene castiscit… (le fils de Johann van Beethoven a expérimenté, enfant, la valeur du procédé)… Mais quel que soit celui qui tient tête à Beethoven, celui-là lui tient tête, à toute heure de la journée : il est Je la maison, et il loge avec lui : il ne s’absente jamais. Les autres amis passent. Lui seul est toujours là. Et Beethoven le presse de ses plaintes, de ses reproches, de ses questions. Le monologue intérieur est constamment à deux. Vous trouverez partout, et dès les premières œuvres, ces dialogues de l’âme[2] des

1. « Bien souvent, j’ai maudit le Créateur » (à Wegeler, juin 1801).

2. L’allegro du Trio, op. 9, no 3 (1796-8), — le superbe premier morceau du quatuor, op. 18, no 4 (1799-1800), qui annonce l’ouverture de Coriolan, — la Pathétique (1798) — offrent des types frappans de cas Dialogues beethoveaiens, vraies scènes de drame pasaionaté.

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