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BEETHOVEN

« de beaux yeux parlants, où se mirent à tout moment ses impressions changeantes, gracieuses, aimables, sauvages, colères, menaçantes… » [1] Sans doute, elles rient de lui[2], elles sont bien aises de trouver ses ridicules à persifler : ils leur sont une défense ; sans eux, il serait dangereux > dans ce petit duel des cœurs, ils rétablissent sur lui leur avantage. — Et, bien entendu, il n’est pas question pour ces jeunes filles, belles, riches, titrées, de pousser l’aventure au-delà du flirt de salon. On ne leur en fera pas grief ! Et ce qui plutôt nous surprend, c’est que le cœur de plus d’une se soit laissé toucher. Les lettres féminines, publiées par La Mara et par A. de Hevesy[3], parlent bien souvent de Beethoven, « qui est un ange !… » Et tout en s’en moquant, leur imagination en est quelquefois un peu trop occupée. Elles l’entraînent à leur suite, dans leurs châteaux de Hongrie ; et il s’échange, la nuit, derrière les bosquets, de doux mots, des baisers, — des promesses peut-être, dont

1. « Müller. — « Le cher visage aux sombres yeux ! » ( « das liebe Gesicht düster Blicken… » ) — écrit longtemps après Thérèse Brunsvik (Journal inédit 26 août 1845). — La jeune Charlotte Brunsvik, comtesse Teîeki, écrivant à ses sœurs en mars 1807, leur parle d’un petit Hongrois, un garçonnet de dix ans, dont les beaux yeux et la précoce intelligence l’ont fascinée. Et elle a cette comparaison inattendue : « Sa physionomie ressemble tout à fait à celle de Beethoven : c’est le même regard expressif et vivant. On voit le génie dans ses yeux ». (La Mara, Beethoven und die Brunsviks).

2. Mais non les sœurs Brunsvik. Je n’ai pas trouvé dans leurs lettres ou leurs notes intimes un seul mot ironique ou désobligeant pour Beethoven. Et j’en ai été frappé, sachant combien son aspect pouvait prêter à la moquerie, ou (le plus cuisant !) à la commisération,

3. Beethoven, vie intime, 1926,

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