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LES GRANDES ÉPOQUES CRÉATRICES

l’avenir a justement désigné du nom de son premier explorateur. Mais quand jamais explorateur a-t-il montré une telle sûreté de sa découverte, pareille maîtrise sur l’œuvre dont il ne soupçonnait pas, avant d’y entrer, la masse et l’étendue ? Tout cela, nous n’en voyons plus aujourd’hui que le résultat, nous ne pensons plus aux tâtonnements épuisants des esquisses, à ce travail forcené dans la solitude de l’homme fiévreux et torturé, qui s’est attaché, comme Michel-Ange, au plafond de sa Sixtine, et verrouillé dans la chapelle, jusqu’à ce qu’il ait terrassé le problème des nombres et des formes, par lui déchaînés, et qu’il l’ait soumis à sa volonté. Mais c’est parce que dans le résultat victorieux, dans cet équilibre, dans cette symétrie des masses suspendues, nous sentons obscurément les héroïques passions de la bataille, — c’est pour cela qu’il nous enivre. Et le fait curieux est que cette Héroïque, qui fut des œuvres de Beethoven la plus neuve, et, par conséquent, qui aurait dû se heurter plus longtemps à l’incompréhension, est devenue rapidement la plus populaire[1].

Je sais qu’une élite épuisée fait bon marché de cette popularité, qu’elle ne saurait jamais atteindre ; elle y verrait volontiers une marque de vulgarité. Et il va sans dire que nous partageons son dédain, quand la popularité de l’œuvre s’achète au prix de son rabaissement au niveau des basses facilités, du commun mauvais goût. Mais quand,

1. Avec la Symphonie en ut mineur, qui réalise, avec plus de ligueur encore, cette exactitude de ? proportions : L 124x2 ; — IL 123 ; — III. 126+129.

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