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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/272

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BEETHOVEN


Les grandes œuvres de Beethoven sont très souvent des controverses ou des combats avec soi-même, comme FEzéchiel de la Sixtine ; et ce caractère est surtout marqué dans les premiers morceaux de ses sonates ou de ses symphonies. Quand il en causait avec Schindler, il aimait à y reconnaître « la Dispute » ou le corps-à-corps « de deux principes[1] ». En réalité, sa nature était multiple, bien au delà de ce qu’on est porté à reconnaître et que lui-même ne le savait : il l’exprimait en musique, mieux qu’il n’en avait la connaissance claire ; et quand il la réduisait au « double principe », il simplifiait beaucoup trop : les considérables variations de pensée (subconsciente ou consciente), qui se succèdent dans ses derniers quatuors, trahissent une échelle de sentiments et d’instincts très étendue et dont la chaîne paraît parfois hétérogène : grave, religieux, bouffon, grossier, tendre, délicat, violent, héroïque, morne, abattu, révolté, consentant, ou désespéré. — Il faut compter aussi avec la contrainte morale, que cet homme sauvage, souvent débridé, « déboutonné », s’imposait pour ne pas voir tout un

  1. « Der Streit zweier Prinzipe, ocler ein Dialog zwischen zwei Personen. » (Schindler : Biographie, 2me édition, 1845, p. 199 ; — à propos des deux sonates op. 14).

    Et plus loin, p. 224, « l’opposition de deux Hauptstimmen (Principe), l’un masculin, l’autre féminin, — « das bittende und das widerstrebende » (celui qui prie et celui qui résiste), comme les définissait Beethoven.

    Ailleurs (conversations de 1823, à propos de la Symphonie en la), p. 280 du même ouvrage : « Zwei Prinzipe auch im Mittelsatz der Pathétique. »… etc.