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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/224

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MIRABEAU.

et son état-major escortaient le char funèbre, que suivaient les ministres du Roi. Des décharges de mousqueterie ébranlèrent les voûtes de Saint-Eustache. Cerutti prononça, sur les marches de l’autel, une plate oraison funèbre ; et, sur la motion du duc de la Rochefoucauld, le corps fut porté dans les caveaux de Sainte-Geneviève, consacrés désormais à la sépulture des grands hommes. Deux années après, il devait en être arraché pour faire place au cadavre sanglant de Marat….

Au milieu de tout ce bruit, un trait m’a frappé plus que tout le reste. Mirabeau, peu de jours avant sa mort, avait écrit un discours sur les successions et l’égalité des partages. Dans ses derniers moments, il avait chargé l’évêque d’Autun d’en donner lecture à l’Assemblée. Talleyrand obéit sans enthousiasme, mais avec décence. Le 2 avril, il parut à la tribune, avec ce grand air de recueillement épiscopal et de morgue aristocratique qui ne laissait jamais entrevoir que la première moitié de sa pensée ; et après quelques mots de froide condoléance : « M. de Mirabeau m’a fait demander, dit-il. Je ne m’arrêtai point à l’émotion que plusieurs de ces discours m’ont fait éprouver,… et je vous apporte, comme des débris précieux, les dernières paroles qui ont été arrachées à l’immense proie que la mort vient de saisir…. » — L’immense proie !… Je ne sais rien qui donne une idée plus vaste du personnage, que ces deux mots dits à cette place, à cette heure, dans cette tribune vide de lui, et tombant, avec lenteur, de ces lèvres prudentes.