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Page:Rousse - Mirabeau, 1891.djvu/74

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MIRABEAU.

légende romanesque dont sa triomphante laideur augmentait encore le prestige, — c’est une faute pour laquelle, dans ce temps-là surtout, peu de gens avaient le droit d’être sans pitié.

Que pour s’appartenir tout entiers, pour échapper l’un à ses geôliers, l’autre à son odieux ménage, aux rigueurs de sa famille, aux sottes cruautés de sa petite ville, les deux amants, à travers tous les dangers, au risque de toutes les misères, aient été chercher dans l’exil le droit de s’aimer et de souffrir ensemble, c’est une aventure qui, à cette époque de libertinage commode, pouvait avoir sa grandeur, et dont la singularité pouvait émouvoir les plus sages.

Mais, pour se faire excuser, absoudre, admirer peut-être, il faut que ces amours défendues aient, plus que d’autres, leur pudeur, leurs idéales tendresses, et cette inviolable fidélité qui doit tenir unis à jamais deux cœurs librement assujettis l’un à l’autre.

Ici, rien de pareil. Sophie de Monnier n’en était pas à sa première faute ; et Mirabeau ne devait pas être son dernier amant…. Si l’on cherche ce qui l’a poussée dans ses bras, on ne trouve rien qui relève sa chute et l’ennoblisse : « Sais-tu ce qui te fait avoir des femmes ?… Tu attaques leur tempérament. Tu les as sans qu’elles le veuillent. »

J’ai peur que, pour elle aussi, cet enchantement grossier n’ait été la seule cause de sa faiblesse. Elle en parle d’un cœur si détaché qu’on ne voit même pas qu’elle soit jalouse de ses rivales.