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Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/250

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LA MARQUISE DE GANGE

la terre des torrents de pluie, qui n’éteignent point les laves qui tombent avec eux. Les flammes d’une malheureuse chaumière, que consume un éclat de la foudre, à cent pas de là, en redoublant la terreur d’Euphrasie, éclairent tristement les sentiers tortueux qu’elle parcourt, et ne lui offrent que des précipices. À ce spectacle désastreux se joignent les cris plaintifs des infortunés dont ce malheur absorbe l’héritage ; leurs accents douloureux, mêlés au bruit des cloches dont le peuple, par un préjugé dangereux, fait retentir les airs, et aux éclats redoublés de la foudre, semblent avertir que la nature, irritée des crimes de l’homme, va le replonger pour jamais dans le néant d’où la bonté de Dieu le fit sortir.

Euphrasie, chancelante, repoussée tour à tour par les vents et par la frayeur, ressemble au jeune saule battu par la tempête. Elle tombe enfin dans les sillons remplis d’eau qui la font échouer à chaque pas ; elle n’appelle plus à son secours que la mort. Ces foudres dont les éclats l’entourent sont invoquées par elle : c’est la jeune biche poursuivie par des chasseurs, et qui vient expirer dans son dernier asile.

Un bruit se fait entendre ; on approche. L’intéressante et triste créature ne sait si elle doit ou désirer ou craindre ce qui paraît se diriger vers elle. — Que me voulez-vous ? s’écrie-t-elle. Est-ce moi que vous chercher ? Si c’est pour m’immoler,