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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/162

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PORT-ROYAL.

éclairé et le plus profond de tous les docteurs, avoit exposé à l’Église une doctrine toute sainte et apostolique touchant la Grâce chrétienne ; mais que, ou par la foiblesse naturelle de l’esprit humain, ou à cause de la profondeur ou de la délicatesse des questions, ou plutôt par la condition nécessaire et inséparable de notre foi, durant cette nuit d’énigmes et d’obscurités, cette doctrine céleste s’est trouvée enveloppée parmi des difficultés impénétrables ; si bien qu’il y avoit à craindre qu’on ne fût jeté insensiblement dans des conséquences ruineuses à la liberté de l’homme. Ensuite il considéra avec combien de raison toute l’École et toute l’Église s’étoient appliquées à défendre les conséquences ; et il vit que (d’un autre côté) la Faculté des nouveaux docteurs en étoit si prévenue qu’au lieu de les rejeter, ils en avoient fait une doctrine propre ; si bien que la plupart de ces conséquences, que tous les théologiens avoient toujours regardées comme des inconvénients fâcheux, au-devant desquels il falloit aller pour bien entendre la doctrine de saint Augustin et de l’Église, ceux-ci les regardoient au contraire comme des fruits nécessaires qu’il, en falloit recueillir ; et que ce qui avoit paru à tous les autres comme des écueils contre lesquels il faillit craindre d’échouer le vaisseau, ceux-ci ne craignoient point de nous le montrer comme le port salutaire auquel devoit aboutir la navigation. »

Faire de l’écueil le port, c’est bien là en effet la prétention et l’originalité un peu téméraire de la doctrine janséniste. Et quant aux personnes, à leur naturel et à leur génie, Bossuet, empruntant à Grégoire de Naziance une parole sur ceux qui causent des mouvements et des tumultes dans l’Église, rappelle que ce ne sont pas d’ordinaire des âmes communes et faibles ; il les qualifie grands esprits, mais ardents et chauds, excessifs, insatiables et plus emportés qu’il ne faut aux choses de la religion :

«Notre sage et avisé Syndic, continue-t-il, jugea que ceux desquels nous parlons étoient à peu près de ce caractère ; grands hommes, éloquents, hardis, décisifs, esprits forts et