Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
212
PORT-ROYAL.

et nettoyer la tombe avec un grand soin pour que l’éloge contenu dans l’Épitaphe se lût mieux. Les personnes de qualité y arrivaient en foule, et l’on se succédait dans les prières qu’on y faisait, comme devant le Saint-Sacrement là où il est exposé à l’adoration. M. d’Andilly avait fait graver l’image du saint abbé : on la distribuait dans le faubourg ; on y ajoutait des aumônes. Ce concours de personnes de condition, ces carrosses à la porte, ces dames en prière sur la dalle funèbre, tout cet appareil dut promptement agir sur les esprits et donner dans les yeux du peuple, qui commença à se mêler en effet et à entrer à son tour dans cette dévotion. Quoique ce soient des ennemis qui racontent cela,[1] j’ai peine ici à ne pas les croire ; il est trop naturel que de la part des vivants, dans la ferveur du regret et du zèle, les choses se soient passées ainsi. Toute mémoire s’altère si vite chez les plus fidèles ! Les morts sérieux sont si peu honorés comme ils l’auraient entendu ! M. de Saint-Cyran, s’il avait pu revenir, aurait-il donc voulu de ces honneurs ? les aurait-il soufferts ?

Ainsi disparut, à l’âge de soixante-deux ans, le chef suprême, le modèle de tous ces grands caractères, moindres pourtant que le sien, et auxquels, dès le lendemain, il manqua. Nous quittons le fondateur et le restaurateur original de cette doctrine spirituelle qui ne put jamais s’établir ni se développer comme il le désirait, et comme il le demandait à Dieu. La veille de sa mort, il dit à son médecin, M. Guérin, qui était en même temps celui du Collège des Jésuites : « Monsieur, dites à vos Pères que, quand je serai mort, ils n’en triomphent point, et que j’en laisse douze après moi plus forts que moi. » Erreur ! ces douze-là ne furent qu’une monnaie mieux cou-

  1. Le Père Rapin, Histoire du Jansénisme.