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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/519

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LIVRE TROISIÈME.

Pascal, humainement, n’a point aimé ; mais tout cet amour s’est versé sur Jésus-Christ le Sauveur : ç’a été sa seule passion, passion véritable, qui s’échappe par ses lèvres, et qui saigne dans ses membres.

« J’aime la pauvreté, parce que Jésus-Christ l’a aimée ; j’aime les biens, parce qu’ils donnent moyen d’en assister les misérables. » Voilà de ces accents qu’il faut opposer, pour toute réponse, à ceux qui demanderaient, au sortir de Montaigne, à quoi bon l’assiette de terre et la cuiller de bois !

La conversion de Pascal amena du coup celle de ses deux grands amis, le duc de Roannès et M. Domat. Le premier, petit-fils d’un grand-père très-dissolu, et dont Tallemant nous donne d’abominables nouvelles, avait eu le malheur de perdre en bas âge son père, et d’être remis aux mains indignes de cet aïeul. Délivré des périls d’une semblable tutelle, sa jeunesse et sa haute condition le laissaient livré à tous les hasards : la connaissance de Pascal, son voisin de terre et son aîné, lui vint à propos en aide et le dirigea. Au moment où le jeune duc et pair se décida à suivre son ami dans la voie nouvelle, et à rompre aussi avec ses espérances du monde, ce fut une si violente colère parmi sa famille et parmi la gent, que la concierge de son hôtel, où logeait pour le moment Pascal, monta, le matin, chez celui-ci, un couteau à la main, pour le tuer : par bonheur il ne s’y trouva pas. Nous aurons occasion de nommer, de saluer encore à la rencontre ce bon duc qui fut toujours rempli de piété, nous dit-on, même d’une piété fort tendre, et qui vécut fidèle jusqu’au bout à Pascal et à Port-Royal, fort tracassé d’ailleurs de procès et d’affaires, et payant religieusement les dettes qu’il n’avait point faites.[1]

  1. Payer les dettes qu’on n’a point faites, cela est vrai aussi au moral. Port-Royal ne fait pas autre chose. Quand on entrevoit par