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LIVRE TROISIÈME.

traire lumineux ; il accorde à sa brochure des Ruines de Port-Royal, intéressante en somme, mais pleine de faits entassés pêle-mêle comme des cailloux, une autorité qu’elle n’a pas pour quiconque a un peu étudié aux sources. C’est ce qui lui procure un triomphe facile lorsqu’il cite, d’après Grégoire, un catalogue burlesque, où des noms hétérogènes et quelquefois hétéroclites sont bizarrement entre-choqués. Plus loin il va citer le Discours préliminaire de l’abbé Bossut comme une autorité irrécusable encore : Voltaire à sa manière n’est pas plus léger. Mais là où son faible secret se décèle, c’est quand il s’écrie :

« Je te vomirai, dit l’Écriture, en parlant à la tiédeur ; j’en dirois autant en parlant à la médiocrité. Je ne sais comment le mauvais choque moins que le médiocre continu. Ouvrez un livre de Port-Royal, vous direz sur-le champ, en lisant la première page : Il n’est ni assez bon ni assez mauvais pour venir d’ailleurs. Il est aussi impossible d’y trouver une absurdité ou un solécisme, qu’un aperçu profond ou un mouvement d’éloquence ; c’est le poli, la dureté et le froid de la glace. »

Voilà, selon moi, le point faible, le défaut de la cuirasse chez de Maistre, voilà le mot du cœur qui se trahit : il a la haine et la nausée du médiocre, du vulgaire. Son point de mire à lui, son étoile polaire, c’est une opinion qui ne soit surtout pas celle de la canaille des esprits ; le gentilhomme-sénateur se retrouve ici dans le penseur. Tout ce qui a triomphé et qui est devenu plus ou moins commun à quelques égards, de Maistre le méprise, le conspue et le voudrait anéantir. Le contre-pied du commun sur toutes choses, sur le Pape, sur l’Inquisition, sur Bacon, sur Pascal, c’est là sa grande route qui ne ressemble à nulle autre ; au lieu du pont-aux-ânes, le Pont-du-Diable[1] ; voilà ce

  1. Se rappeler la route du Saint-Gothard.