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LIVRE QUATRIÈME.

Les raisons que Lancelot donne à l’appui de ces préceptes sont des plus judicieuses et des mieux fondées, autant qu’il me semble. En effet, la difficulté de la langue grecque consiste particulièrement dans les mots ; car elle est plus aisée que la latine pour la phrase, et, comme l’a dès longtemps remarqué Henri Estienne, elle a de singulières conformités, par son génie, avec celui de notre langue. L’important donc, pour les enfants, est d’en bien apprendre les mots, le génie et le tour se devant expliquer ensuite de lui-même. Et à quel âge faire provision de cette immense richesse et variété de formes et de vocabulaire, sinon dès l’enfance même et durant cet intervalle où l’esprit déjà éveillé n’est pourtant pas mûr encore pour les compositions et les exercices de l’éloquence ? Durant ces années de mémoire avide et facile, il suffira d’entretenir les jeunes enfants au latin, qu’ils apprendront plus tard à écrire et à parler ; mais c’est le moment ou jamais de les rompre au grec, qu’ils n’ont besoin que de bien entendre ; et on n’y parvient que par une lecture constante, et par la pratique assidue des divers auteurs graduellement introduite. Telle est la marche courageuse que conseille Lancelot ; c’est la seule qui mène au but, la seule capable d’affranchir l’esprit de ces gloses interlinéaires, de ces traductions latines où il se traîne, tous expédients qui ne sont bons qu’à l’entretenir dans une certaine bassesse, et à l’empêcher de s’élever au véritable sens de ces Originaux incomparables. Que si vous voulez des traductions, dit Lancelot, faites-en de françaises, qui puissent être une plus juste copie des modèles, et laissez là les traductions latines ; car, selon la remarque du docte Gesner, « les Anciens étoient si curieux d’étudier cette langue, et si amateurs de sa beauté dans sa source, qu’ils en méprisoient tout à fait la traduction[1],

  1. J’éprouve quelque doute à cet endroit. De quels Anciens veut