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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/167

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conséquence. Un de nos savants, mort depuis plusieurs années, avait compté le nombre de cheveux qui garnissaient la tête de madame sa nièce. Cette supputation n’avait pas laissé de lui coûter du temps et de la peine ; mais en supposant qu’il ne se fût pas trompé d’un seul cheveu, en était-il beaucoup plus avancé ? Je crois qu’il y a tel faiseur de statistiques à qui l’on pourrait adresser la même question.

Je vous ai dit, Messieurs, qu’en toute science le savoir véritable consiste à pouvoir se démontrer à soi-même et prouver aux autres, que tel fait découle de tel autre ; mais remarquez que cette capacité dépend entièrement d’une autre connaissance encore : de la connaissance de la nature des choses. De quelles choses ? De celles qui jouent un rôle dans le phénomène observé. Le flux et le reflux de la mer nous ont longtemps présenté un phénomène dont il était impossible d’assigner rigoureusement la cause. On pouvait soupçonner que la lune était cette cause, car les marées suivaient le cours de la lune ; mais il était impossible à qui que ce fût de s’en convaincre et de le prouver, faute d’apercevoir la liaison qui existait bien véritablement entre la lune et les marées ; et pourquoi cette liaison n’était-elle pas aperçue ? Parce que l’on ne connaissait point encore cette propriété qu’ont tous les corps de s’attirer mutuellement ; propriété que la lune partage avec tous les autres corps, et qui fait partie de sa nature. Mais du moment que l’attraction a été bien connue et calculée, l’explication des marées est devenue la chose la plus facile et la plus incontestable.

Tels sont, Messieurs, les fondements de la certitude dans les sciences.

Beaucoup de personnes s’imaginent que ces considérations, très-applicables aux sciences physiques, ne le sont pas aux sciences qui ont pour objet l’étude de l’homme et de la société. Cependant, au moral comme au physique, aucun fait n’arrive sans cause. Dire qu’on ignore cette cause, ce n’est pas prouver qu’elle n’existe pas. Dire qu’il y en a plusieurs, qu’elles se compliquent à l’infini, ce n’est pas prouver que leur action n’a pas eu lieu, ou n’a eu aucun effet. C’est convenir seulement qu’elles sont fort difficiles à démêler. Nous le savions déjà ; et même nous savions qu’on les démêle d’autant plus difficilement que l’on a des idées moins justes sur la nature de l’homme et de la société. Mais pourtant, comme ce genre de connaissance nous importe beaucoup puisque nous sommes des hommes, que nous vivons dans la société, et qu’il serait très-avantageux pour nous de pouvoir expli-