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Page:Say - Œuvres diverses.djvu/645

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Le septidi (c’était justement un jour de courrier pour R…, où est mon ami ), je vole, avant onze heures, chez ce commissaire de police. La formalité se réduisait à une misère ; il ne s’agissait plus que de certifier l’affiche ; je n’avais ensuite qu’à faire légaliser la signature du commissaire, puis mettre le tout à la poste. Je me présente chez lui : il était heureusement seul, et devant son bureau ; je demande mes papiers. Lui, de me faire un petit signe de la main pour que je me tinsse tranquille jusqu’à ce qu’il eût achevé ce qu’il faisait. Je me promenai un instant ; tout-à-coup mon homme se lève, et se met à arranger son bureau ou plutôt sa table, et à l’assurer. — « Cette maudite fille, disait-il en parlant de sa servante, il faut qu’elle dérange ma table chaque fois qu’elle balaye la chambre. » — Il fut plus d’un quart d’heure à la tirer, à la pousser, jusqu’à ce qu’elle fût bien d’aplomb ; après quoi, s’apercevant qu’il ne restait pas la place d’une chaise entre la table et une cheminée qui était proche : — « Ho, ho ! dit-il, il faut qu’on puisse s’asseoir là. » — Alors, se relevant, il recommença un arrangement qui me parut bien long, car je sentais que l’heure s’avançait, et que, si les papiers ne partaient pas par ce courrier, ils seraient retardés de plusieurs jours ; cependant je ne voulus rien lui dire, car il voyait bien que j’étais là, et que j’attendais.

Il se remit devant sa table, et je crus bien qu’il allait expédier mon affaire, lorsqu’une jeune femme, dans un négligé fort sale, et que je compris être sa belle-fille, sortit d’une chambre voisine, d’un air évaporé, en disant : « Donnez-moi vite une plume et du papier, que je copie cette chanson. » — Le beau-père répondit, d’un air posé : — « Pouh ! pouh ! une plume et du papier ! et faut-il tout renverser pour cela ! Une plume ; c’est bien aisé à dire ; je n’en ai point. — En voici une, dit la fille en prenant un tronçon de plume. — Elle ne vaut rien, celle-là, dit le père ; tu vas tout renverser sur ma table… Tiens, prends la mienne, et laisse-moi tranquille. — Et où voulez-vous que je me mette à présent ? — Tiens, mets-toi là et dépêche-toi, car j’ai affaire avec le citoyen (en me montrant). » — Il se leva, la fit mettre à sa place, et lui, s’occupa à ranger quelques papiers, à chercher celui qu’il me fallait, qu’il n’eut pas de peine à trouver ; car, heureusement pour moi, les affaires n’étaient pas nombreuses dans cette section.

La jeune femme écrivait toujours ; sa chanson était d’une longueur désespérante ; et de temps en temps, elle s’arrêtait et me lançait des regards satisfaits, pour me faire apercevoir qu’elle avait le goût de la musique et de la littérature, et qu’elle copiait des vers ; ce dont, pardieu, je m’apercevais trop bien, car je songeais à mon ami, qui, quoiqu’à quatre-vingts lieues de moi, attendait son acte, et séchait d’impatience.

Enfin elle finit. Le commissaire, avec le plus majestueux sang-froid,