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Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/138

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DIT AGRICOLE


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CRËDIT AGRICOLE


Comté à leurs adhérents sur les fromages faliriqués et non encore vendus par la Société, ou encore les fromagers du Larzac sur les fromages que leur apportent les éleveurs de brebis de toute la région.

Au point de vue économique, le cultivateur pour ses opérations est exactement dans la même situation qu’un industriel ordinaire  ; le gage qu’il peut offrir est instable  ; on ne peut fonder le crédit à lui accorder que sur le crédit personnel, sur ses qualités morales, sur son habileté professionnelle.

Par contre, ses engagements diffèrent beaucoup de ceux du commerçant, par suite de la nature même de son industrie. La pro- duction agricole est lente, le renouvellement des capitaux circulants demande un délai beaucoup plus long que dans l’industrie, dépassant de beaucoup la durée de trois mois généralement assignée au papier com- mercial et accepté à l’escompte par les ban- ques. En cas d’insolvabilité, de non-payement à l’échéance, les engagements de l’agriculleur n’étant pas commercialisés, sauf exceptions d’ailleurs de plus en plus nombreuses, heu- reusement, on ne pourrait recourir à la procédure simple et rapide de la liquidation commerciale ou de la faillite  ; il faudrait s’engager dans une procédure civile extrê- mement longue, hérissée de complications. D’où ces deux conséquences  : le papier agri- cole doit être renouvelé au moins une fois, et souvent deux, pour qu’il puisse prendre la forme de papier commercial  ; le marché de ce papier est très restreint, la banque ordinaire le refuse impitoyablement. Ces conséquences se traduisent par une cherté considérable de l’argent emprunté par la culture  : le taux de l’escompte du papier agricole reste très élevé en raison même de sa difficulté de circulation et de réalisation. La faillite contrairement au préjugé courant, et encore moins la liquidation commerciale, ne sont pas si dangereuses qu’on le pense pour le cultivateur. Le concordat lui serait tout aussi avantageux qu’à un commerçant.

Cette liquidation interviendrait d’ailleurs fort rarement, car nul plus que l’agriculteur n’est en mesure de tenir exactement ses engagements. Ses opérations ne comportent qu’une somme d’aléa presque négligeable, il ne se hasarde jamais dans aucune spécu- lation hasardeuse. Bien mieux, la mesure de son honorabilité et de sa solvabilité est facile à déterminer et à contrôler  : il vit dans un milieu restreint, tous ses voisins le con- naissent, connaissent son avoir, ses capa- cités professionnelles, sa moralité, et pour- raient facilement le cautionner. En réalité le crédit agricole est plus sûr que le crédit


commercial, la rareté même des protêts, partout oîi il fonctionne, fait foi de ce que nous avançons ici. Uien de plus logique, de plus naturel, que l’on ait songé depuis long- temps à en élargir les bases. 11 serait suffi- sant, croyons-nous, dans la plupart des cas, d’admettre en principe, comme l’a proposé la Société des agriculteurs de France, que la négociation en banque d’effets de commerce seulement et les ouvertures de crédit ren- draient les agriculteurs passibles de la juri- diction commerciale.

Avant de laisser ce sujet, n’oublions pas de signaler les revendications des marchands d’engrais qui, depuis 1S6G, demandent qu’il soit créé en leur faveur — et par voie de conséquence, en faveur du crédit à la cul- ture — un privilège légal sur la récolte, analogue à celui que consacre le code pour le vendeur de semences, ou pour l’entre- preneur qui fait les frais de la récolte. Les engrais sont aujourd’hui la base de la pro- duction agricole  ; le développement de leur emploi a été la cause déterminante de l’aug- mentation des rendements de la culture. Au moment de la rédaction du code civil, les fumiers produits directement dans la ferme étaient à peu près les seules matières ferti- lisantes employées  ; le commerce des engrais n’existait pas, il n’y avait pas lieu de s’en préoccuper  ; aujourd’hui la création d’un privilège spécial faciliterait encore à la culture l’emploi plus général des engrais chimiques au grand avantage de notre pro- duction nationale. Cette revendication ainsi présentée parait justifiée  ; elle n’a jamais été admise cependant par des raisons tirées de l’observation pratique des faits.

L’efficacité des engrais est loin d’être tou- jours manifeste et proportionnelle aux quan- tités employées — en supposant la sincérité lapins complète dans la livraison faite au cul- tivateur — de nombreuses contestations sur- giraient. Bien plus, on ne peut logiquement soutenir que les engrais représentent, aux termes de l’article 2102, des «frais faits pour la conservation de la chose », privilégiés même sur les droits du propriétaire, alors que l’on soutient encore en doctrine que quelques en- grais chimiques, s’ils améliorent la récolte, dans de bonnes conditions de sol et de circons- tances météorologiques concordantes, ris- quent éventuellement de diminuer la fertilité naturelle des terres cultivées.

Des diverses considérations présentées, jusqu’ici il se dégage ces deux faits  : 1° le crédit agricole sans l’intervention de l’Etat, dont on ne veut pas plus que dans l’industrie, est difficile à organiser parce qu’il se heurte il des obstacles légaux ou à des pratiques


CRÉ