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Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/160

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ANGLAISE


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ÉCOLE ANGLAISE


contribué aussi à modifier ropinion. Mar- chant sur les traces de Richard Jones, Clitle Leslie (l’un des premiers économistes anglais qui ait subi l’influence de l’école allemande) s’était attaché à démonti’er la relativité de la théorie économique et à faire ressortir l’im- portance de la coutume et des autres in- tluences qui restreignent ou détruisent les effets de la concurrence. Le succès des Tradcs’ Unions était venu fournir une leçon de cho- ses qui bouleversa la théorie de Mill sur le fonds des salaires, et sa « philosophie sociale » fut passée au crible de la théorie purement économique de Jevons. Enfin les invectives amères et la dialectique habile de Karl Marx et de Lasalle, quelque faibles que fussent d’ailleurs leurs propres théories, ne réus- sirent pas moins à porter sur son propre terrain des coups sensibles à la théorie <f classique » défectueuse, à laquelle ces novateurs s’étaient attaqués.

Plusieurs événements européens contri- buèrent aussi à ébranler la confiance pu- blique dans la sûreté des analyses de Mill. L’économie politique allemande recueillit sa part du prestige que valurent à l’Allema- gne ses victoires de 1870-71. Plus générale- ment étudiée en Angleterre depuis cette époque, elle a poussé les économistes an- glais à soumettre les grands maîtres du passé à une critique de plus en plus serrée. Se combinant avec les doctrines des écono- mistes américains, qui eux aussi ont subi pour la plupart l’intluence allemande, ces tendances ont excité l’émulation de la géné- ration anglaise nouvelle et peu à peu, à une ou deux exceptions près, elles ont détourné son attention des questions à l’ordre du jour en France. En dehors de toute discussion théo- rique, la longue durée de la crise commer- ciale a ébranlé la foi du public dans les as- sertions de l’économie politique, de même qu’une épidémie prolongée propage la mé- fiance de la médecine. Dans les deux cas, on se sent porté à traiter la science en sus- pecte, et c’est ainsi qu’en Angleterre la grande majorité des économistes théoriques s’est convertie au bi-métallisme envisagé par eux comme un moyen de soutenir le taux du change vis-à-vis des pays à étalon d’argent et de résister à l’avilissement croissant des prix. Les lacunes de Mill sur ce point spécial contribuèrent encore à miner son autorité auprès du grand public.

Eu somme, il a été jugé nécessaire d’exa- miner à fond les assises de la science. Tant qu’a duré cet examen, l’école anglaise a été comme un sel à l’état de solution, mais elle s’est aujourd’hui suffisamment cristallisée pour qu’il se soit formé entre les


économistes scientifiques anglais un accord pratique sur les principes généraux qui doivent guider ses travaux. La question un peu oiseuse des méthodes, longtemps agitée, est tranchée depuis la publication de l’Essai de M. le professeur Sidgwick sur l’Objet et la méthode de la science économique, et particu- lièrement depuis celle de l’ouvrage plus étendu de M. Keynes, qui a paru sous le même titre. La distinction entre la science et l’application est soigneusement maintenue, mais un arrangement tacite reconnaît à chaque méthode sa raison d’être dans la vaste tâche qu’il reste à accomplir. Ce qui paraît aux économistes anglais le plus pres- sant, ce n’est pas tant de produire de nou- veaux exposés théoriques ou de nouveaux manuels, mais de se livrer à des analyses de plus en plus spéciales, de rassembler les éléments de nombreuses monographies sta- tistiques et historiques, et de noter avec précision l’action des forces économiques qui agissent au fond des différents « problè- mes » économiques et sociaux.

Nous n’avons pas à parler de Mac-Culloch, de Jones, de Torrens et de Senior, qui sont tous morts après 1848, mais qui cependant appartiennent en réalité à la période précé- dente  ; passons à Cairnes {1824-187.’)), le prin- cipal disciple de Mill. Clair, logique et tenace, il s’est livré à une revision miuu- tieuse des théories existantes dans le but de leur imprimer un caractère plus défini et il a mis son remarquable talent au service des doctrines « orthodoxes » de Ricardo et de Mill. jNéanmoins, ses efforts ont eu plutôt pour résultat d’ébranler la soumission aux autorités classiques. Fawcett, le dernier dis- ciple de Mill, s’est essayé en vain à vulgariser les doctrines de son maître  ; il n’est pas par- venu à les réhabiliter. L’école historique d’abord et ensuite la brillante originalité de Jevons en matière de théorie pure, devaient, seules animer d’une vie nouvelle l’école économique anglaise.

i" La première école historique n’est pas uniquement d’origine germanique. Cliffe Leslie, qui, on peut le dire, a introduit les économistes d’outre-Uhin en Angleterre, avait déjà subi l’infiuence analogue des études de Maine sur l’histoire de la juris- prudence. L’ouvrage de premier ordre de Thorold Rogers, sur VHistoire de l’agriculture et des prix en Angleterre {l86(j-i8H~), procède directement de VHistoire des prix (1838-1887) de Tooke et de Newmarch  ; de même les écrits étincelants d’esprit de Hagehot (1826- 1877) sur les marchés monétaires et sur les sociétés économiques primitives, et les con- férences de Toynbee (1852-1883) sur la lié-


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