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Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/278

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ON SAY


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LÉON SAY


tures furent surtout orientées de ce côté, et ilen résulta, dans sonargumentation, uneévo- lution que ses disciples ont très remarquée. Elle apparut surtout dans sa lutte en faveur delà liberté économique. Pendant longtemps, pour défendre les blés contre les impôts nouveaux, il invoqua Tintérèt de la démo- cratie, les traditions du parti libéral, la né- cessité, le devoir de donner aux travailleurs le pain à bon marché. Puis, quand il vit que les Chambres n’étaient en rien touchées par un argument cependant si humain, mais d’un intérêt trop général, quand il vil surtout le socialisme chercher à pénétrer parmi les paysans et la petite bourgeoisie, il se plaça sur un autre terrain. Il chercha à montrer l’alliance étroite qui unit le socialisme au protectionnisme, mieux que cela leur filiation, le socialisme procédant du protectionnisme, et, à vingt reprises, chercha à intimider le parti protecteur en lui faisant voir clairement où il aboutirait  : « Je ne vois, disait-il encore en février 1894, je ne vois, quant à moi, aucune différence entre le protectionnisme et le socia- lisme, ou du moins, s’il y en a une, elle réside en ceci  : c’est que les protectionnistes sont des socialistes qui ont 30 000 livres de rentes et que les autres sont des socialistes qui n’ont pas le sou. »

Ainsi une grande et noble idée, qui domine sa vie et la remplit  : l’amour et la défense de la liberté avec tout ce qui s’y rattache  ; un terrain de combat unique  : le terrain financier, où tous les principes et les procèdes qui intéressent les finances  : équilibre, ordre, comptabilité, sont mis en usage, et toutes les questions de détail quiconstituent la question d’ensemble  : budgets, recettes, dépenses, im- pôts, emprunts, conversions, amortissements, dette flottante, caisses d’épargne, etc., etc., sont rassemblées, passées en revue, interro- gées, sondées et mises au clair, voilà ce qu’on aperçoit quand on regarde d’un peu haut la vie et l’œuvre de M. Léon Say  ; voilà ce qui, avec son caractère propre, fait son originalité et sa grandeur.

Il nous reste maintenant à esquisser sommairement son œuvre, ou, pour parler avec cette modestie qui était sa nature et son charme, sa tâche, lourde chaîne qui le retint pendant douze années et que tou- tefois il porta légèrement, mieux que cela, allègrement.

Le premier anneau de cette chaîne fut le paiement de l’indemnité de guerre à l’Alle- magne. M. Léon Say a raconté, dans le beau document cité plus haut. Rapport à l’Assem- blée nationale, les obstacles matériels qu’il rencontra et qu’il surmonta, obstaclesaccrus encore par le désir, parla volonté deM.Thiers


d’avancer les termes convenus, afin de hâter l’époque de l’entière libération du territoire. Le Rapport, en soi, est une œuvre maîtresse que liront, pendant longtemps, tous ceux qui voudront étudier les finances de la France  ; il est, chemin faisant, orné d’une foule de détails, dont aucun ne fait hors-d’œuvre, et qui tous concourent à éclairer et à préciser la thèse de l’auteur, mais qui tous attestent son érudition, son sens historique, et l’admi- rable netteté de son esprit. C’est, parexemple, un chef-d’œuvre, que l’histoire en deux pages de la Banque de Hambourg et de l’origine et du rôle du ??2arc banto. Une des grosses difficultés, après avoir rassemblé des sommes énormes, plus de 4 milliards de francs, futde les transformer en espèces acceptées par les Allemands  ; c’était un problème de change, (c’est pourquoi M. Léon Say a placé son Rapport à la suite de sa traduction du Traité deschangesde M. Goschen) problème des plus délicats et des plus périlleux, et il n’est pas interdit de penser que la solution heureuse en fut singulièrement facilitée par la présence au ministère des finances d’un homme doué de l’esprit le plus ingénieux, rompu aux affaires, et jouissant sur le marché financier d’une incontestable réputation d’honnêteté et de prudence.

La seconde opération — concomitante d’ailleurs avec la première — fut les grands emprunts destinés à fournir les fonds de cette indemnité. Ils eurent lieu en 1871 et 1872, l’un de 2, l’autre de 3 milliards. M. Léon Say n’avait pas encore la direction des finances de la France. Mais il était déjà dans les con- seils officieux de M. Thiers, et il a souvent raconté à ses amis les discussions d’un si poignant intérêt, qui précédèrent l’émission de ces deux emprunts. Ce furent pour lui des leçons pratiques d’une inestimable portée. Deux questions, deux dangersapparaissaient. Pour des sommes de cette im]jortance, une erreur infinitésimale dans le taux d’émission se traduirait par d’immenses sacrifices pour le pays  ; et d’autre pari, la prétention, au len- demain de pareils désastres, de se procurer de l’argent à trop bon marché, pouvait en- traîner l’échec de ces emprunts, la ruine du crédit de la France. C’est mus par ces consi- dérations que M. Thiers (et M. Say appuyant cette manière de faire) fixa assez bas le taux de l’émission de ces emprunts et assez haut le taux de l’intérêt, offrant ainsi un avantage sérieux à tous les capitalistes qui s’interpose- raient et déterminant un tel afflux de sous- criptions qu’il fallut réduire le contingent attribuable à chaque souscripteur.

Cependant, tandis que s’accomplissait cette œuvre prodigieuse, le gouvernement s’occu-