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Page:Say et Chailley-Bert - Nouveau dictionnaire d'économie politique, supplément.djvu/35

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ANAUCllIK


était vain de nous laisser ^’uider par des pa- roles sonores et d’eiiiboiter le pas derrière des chefs destinés à devenir traîtres un jour. » M. Reclus s’est aperçu avec stupeur que ré- puhliqiie, socialisme, ne sont, pour les politi- ciens, que des instruments de fortune et de rèj,’ne. Et il ne voit pas que ce serait pire encore en anarchie, que les habiles, les rusés, libres désormais de toute entrave, se donneraient pleine carrière pour exploiter les bons et les faibles. M. Reclus est un idéa- liste déeu, mais aux illusions tenaces, aux convictions inébraïUables.

Entre les Ravachol et les Henry el un Kro- |iotkine retiré dans sa petite maison de llanow on the Hill, enfermé tout le long du jour au Brilish Muséum, un Reclus courbé sur ses cartes, l’un et l’autre si honnêtes gens, si hommes d’honneur dans la vie civile et qui se détourneraient, de crainte d’écraser une fourmi ou une mouche, il y a, semble- t-il, l’abîme qui sépare le pur philosophe du pur scélérat. Most sert de transition entre les deux. C’est le criminel, armé non du poi- gnard, mais de la plume. Il appartient ù une autre couche intellectuelle et sociale. 11 est né en iSiiJ, à Augsbourg, de parents ca- tholiques. Son père, qu’il perdit de bonne heure, était petit employé, l’ne marâtre le rudoya, le maltraita dans son enfance. Il se sentait la vocation du théâtre  : mais une opération qu’il dut subir à la joue le défigura. Entré comme apprenti chez un relieur, il se grisa de lectures, devint journaliste, poêle médiocre, orateur fougueux, quehjue temps populaire à Berlin. Les ouvriers de Chemnitz l’envoyèrent siéger au Reichstag où il ne put placer ses discours. La philosophie athée de Duhring, son socialisme décentralisateur, el plus encore le caractère conduisirent Most à l’anarchisnie qu’il propagea dans son jour- nal Die Freiheit. Il passa huit années dans les geôles d’Allemagne, fut emprisonné même en Angleterre, pour une apologie du meurtre du tsar. Réfugié en Amérique et encore lan- guissant des suites de la débauche, il entre- prit une fougueuse propagande qui aboutit à léchaufTourée de Chicago. Il lui fallait comme à Marat des millions de tètes, pour venger sur la société ses humiliations. Il poussait à l’assassinat, sans passer lui-même à l’acte. En dispute violente avec d’autres anarchistes, il a été accusé de lâcheté, et a, parail-il, perdu de son prestige.

Le professeur Lombroso, ce Joseph Prud- homme de l’anthropologie, a constaté chez Most le type criminel. Le même Lombroso s’est livré à une étude méthodiiiue des anar- chistes de Chicago. Il a découvert que l’anar- chisme est une incapacité d’adaptation au


milieu social, un cas morbide oppos’’ au viisoncisine, c’est-à-dire à l’horreur conseiva- frice de toute innovation. Il a noté, chez certains, des traits « d’insensibilité morale » ipi’il retrouve chez les chefs de la Commune, un Ferré, un Vallès, qui n’avait que de l’an- tipathie pour sa famille. Lingg, dont le père soutirait de commotions cérébrales, présente tous les « stigmates » de l’anarchiste à la fois glorieux et sentimental en correspon- dance amoureuse avec une jeune fille de la blonde Allemagne, animé de plus de fureur contre le capitaliste à abattre que d’amour pour ceux qu’il prétendait sauver ; ne vou- lant pas êtie conduit, comme il le disait, à l’abattoir, il réussit à se procurer dans sa prison une capsule de fulminate qu’il plaça entre ses dents et tju’il alluma à une bougie. Spies, autre Allemand, était tout rempli de Marx, de Shelley, de Goethe, de Dyron. Ses dernières paroles respirent une haine féroce contre les riches. Parson était infecté de ce que Most appelle « la peste religieuse ». Il appartenait à une famille puritaine, qui avait pris part depuis un siècle à tous les mouvements révolutionnaires  : ses parents étaient des méthodistes fanatiques. Tous montèrent courageusement à la potence. Schaak, le policier américain qui a écrit leur histoire, n’a rencontré parmi eux que deux criminels simples ; les autres appartiennent, comme Cyvoct, à l’espèce des meurlrieis phi- lanthropes. Vaillant, enfant naturel d’un  ;.’en- darme, était bourré des théories scientifiques de Biichner et de Letourneau  ; Henry, fils d’un partisan de la Commune, neveu d’une mar- quise, était un anarchiste bachelier es sciences. Nous devons, pour compléter cette étude, dire quelques mots des anarchistes de lettres près desquels les anarchistes de fait rencon- trent parfois une si profonde sympathie. M. Elisée Reclus enrôle sous sa bannière les écrivains et les poètes insurgés contre les règles. Ils se rattachent plutôt à la théorie é^’otiste de Stirner, et surtout à Nietzsche, l’anarchiste aristocratique qui proclame l’or- gueilleuse souveraineté du moi et réserve au seul homme supérieur le privilège de s’affran- chir de toute règle et de toute loi. M. Maurice Barrés est celui qui nous a donné de cet état d’âme l’analyse la plus élégante et la plus subtile. Son « homme libre », son « ennemi des lois », prétendent faire du monde leur proie non plus matérielle, mais idéale, et la bombe que lance un de ses personnages nous éblouit sans nous blesser. A d’autres lettrés décadents et blasés, les exploits anarchistes offrent gratuitement un spectacle méphisto- phélique el néronien, que rehausse encore la terreur du bourgeois alTolé, el qu’ils osent


ANARCHIE