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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/150

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trouver investi d’une nature particulière et d’une existence propre.

Je vous demande donc : « Que fait votre métaphysique ou si vous ne voulez plus rien savoir de ce nom vieilli qui vous paraît trop historique que fait votre philosophie transcendantale ? Elle classifie l’univers et le divise en êtres de telle sorte et de telle autre ; elle cherche les raisons d’être de ce qui est, et établit par déduction la nécessité du réel ; elle tisse, en en extrayant d’elle-même la matière, la réalité du monde et ses lois[1]. La religion ne doit donc pas [43] s’immiscer dans ce domaine, elle ne doit pas tendre à poser des êtres et à déterminer des natures, à se perdre dans une infinité de raisons et de déductions, à chercher des causes premières et à énoncer des vérités éternelles.

Et d’autre part, que fait votre morale ? Elle développe, en partant de la nature de l’homme et de son rapport à l’égard de l’Univers, un système de devoirs ; elle ordonne et interdit des actions avec une autorité illimitée. Cela donc aussi, la religion ne doit pas s’y risquer ; elle ne doit pas se servir de l’Univers pour en extraire des devoirs, elle ne doit pas tenir lieu de récipient à un code de lois.

« Et cependant, ce qu’on appelle religion semble n’être qu’un composé de fragments pris dans ces divers domaines. » Sans doute, c’est l’idée qu’on s’en est fait communément. Je viens de vous suggérer un doute à son égard. Le moment est venu de la réduire à néant.

Dans le domaine de la religion, les théoriciens, qui ont en vue la connaissance de la nature de l’univers, et d’un Être suprême dont cet univers est l’œuvre, sont des métaphysiciens, assez aimables, il est vrai, pour ne pas dédaigner un peu de morale ; les praticiens, eux, pour lesquels l’essentiel est la volonté de Dieu, sont des moralistes, mais un peu dans le style de la métaphysique. Vous prenez l’idée du bien et l’introduisez dans la métaphysique, [44] en l’y posant comme loi naturelle d’un Être sans limites et sans besoins ; l’idée d’un Être primordial, vous l’extrayez de la métaphysique et l’introduisez dans la morale, afin que cette grande œuvre ne reste pas anonyme, qu’on

  1. Nettement dirigé contre la subjectivité de l’idéalisme fichtéen, cf. p. 54.