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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/151

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puisse bien plutôt, en tête d’un code si magnifique, graver l’image du législateur. Mais agitez et mêlez tant que vous voudrez, ces éléments ne fusionnent pas ; vous jouez un jeu inconsistant avec des matières qui ne s’assimilent point les unes les autres : vous n’avez toujours devant vous que métaphysique et morale[1].

Ce mélange d’opinions sur l’Être suprême ou le monde, et de commandements pour une vie humaine (ou même pour deux), vous l’appelez religion ! Et l’instinct qui quête ces opinions, ainsi que les obscurs pressentiments qui sont la sanction suprême de ces commandements, vous appelez cela religiosité ! Mais comment en arrivez-vous à considérer ce qui n’est qu’une compilation, une chrestomathie pour débutants, à considérer cela comme une œuvre originale, comme un individu, ayant sa provenance propre et sa propre force ? Comment vous laissez-vous aller à en faire mention, quand bien même ce ne serait que, pour le réfuter ? Pourquoi ne l’avez-vous pas depuis longtemps dissous en ses parties, et n’avez-vous pas dénoncé ce honteux plagiat ? J’aurais envie de vous mettre à la question par quelques interrogations socratiques, pour vous amener [45] à l’aveu que, dans les choses les plus ordinaires, vous connaissez fort bien les principes d’après lesquels le semblable doit être assemblé et le particulier subordonné au général, et que si, dans ce seul domaine, vous ne voulez pas appliquer ces principes, c’est pour pouvoir échanger en société des plaisanteries sur un sujet sérieux.

Où donc est l’unité dans ce tout ? Où se trouve le principe de liaison pour cette matière hétérogène ? Si c’est une force d’attraction particulière, il vous faut avouer que la religion est ce qu’il y a de plus haut en philosophie, et que métaphysique et morale n’en sont que les parties subordonnées, car ce en quoi se confondent deux concepts distincts, antinomiques, ne peut être que le principe supérieur auquel ils ressortissent tous deux. Si ce principe de liaison gît dans la métaphysique, si, pour des raisons tirées de celle-ci, vous avez reconnu un Être suprême comme législateur moral, alors réduisez donc à néant la

  1. Vise sans doute surtout la Critique de la Raison pratique.