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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/158

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reste là seul, à une hauteur où personne ne l’a atteint, maître dans son art, mais dominant de haut la gent profane, sans disciples, et sans droit de cité[1].

Intuition de l’Univers, familiarisez-vous dans un sentiment d’amitié, je vous le demande, avec cette notion ; elle est le pivot de tout mon discours, elle est la formule la plus générale et la plus haute de la religion, celle à partir de laquelle vous pouvez vous orienter en elle de tous les côtés, à partir de laquelle son être essentiel et ses limites se laissent déterminer de la façon la plus exacte[2]. Toute intuition part d’une influence de l’objet contemplé sur le contemplateur, d’une action originelle et indépendante exercée par le premier, et que le dernier accueille alors, condense et conçoit conformément à sa nature à lui. Si les irradiations de la lumière ne touchaient pas votre organe, — fait qui se produit sans aucune disposition prise par vous à cet égard, — si les plus petites parcelles des corps n’affectaient pas mécaniquement ou chimiquement les pointes de vos doigts, si la pression de la pesanteur ne vous révélait pas une résistance et [56] une limite de votre force, vous n’auriez l’intuition, la perception de rien, et ce dont vous avez ainsi l’intuition et la perception, ce n’est pas la nature des choses, mais leur action sur vous.

Ce que vous savez de ces choses, ou ce que vous croyez à leur sujet, est d’un domaine situé bien loin au delà de celui de l’intuition. Il en est de même de la religion. L’Univers est dans un état d’activité ininterrompue et se révèle à nous à chaque instant. Chaque forme qu’il produit, chaque être auquel, du fait de l’abondante plénitude de la vie, il confère une existence distincte, chaque circonstance qu’il fait jaillir de la richesse de son sein toujours fécond, est une action qu’il exerce sur nous. Par suite donc, prendre chaque chose particulière comme une partie du tout, chaque chose limitée comme une représentation[3] de l’Infini, c’est là la religion. Mais ce qui veut aller plus loin, ce qui veut pénétrer plus pro-

  1. Sur Spinoza, cf. p. 128 et Introduction, p. 15.
  2. Les p. 55 à 63 vont être consacrées principalement à préciser cette notion centrale des Discours, dont l’expression sera sensiblement modifiée et plus développée dans B.
  3. Darstellung.