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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/162

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l’essence subordonnera, à un degré très inférieur, toute cohérence apparente à l’élément particulier, et ne sacrifiera pas à la première la plus petite partie du dernier. C’est précisément en raison de cette indépendance du particulier que le domaine de l’intuition est si infini. Postez-vous au point le plus éloigné du monde des corps, de là, non seulement vous verrez les mêmes objets dans un autre ordre, de telle sorte que, si vous voulez vous en tenir à vos arbitraires tableaux imagés antérieurs, ne les retrouvant pas là où vous êtes à présent, vous serez complètement désorientés, mais de plus vous découvrirez, dans des régions nouvelles, des objets tout nouveaux. Vous ne pouvez pas dire que votre horizon, même le plus vaste, contient tout, et qu’au delà de lui il n’y ait plus rien à saisir intuitivement, [62] ou qu’à son intérieur rien n’échappe à votre œil, celui-ci serait-il le mieux armé : vous ne trouvez nulle part de limites, et votre pensée ne peut en concevoir aucune.

Cela vaut pour la religion en un sens encore bien supérieur. D’un point opposé, vous ne seriez pas seulement, dans de nouvelles régions, l’objet de nouvelles intuitions, non, dans l’ancien espace aussi, bien connu de vous, les éléments premiers se réuniraient en formant de nouvelles figures, et tout serait différent. La religion n’est pas infinie seulement parce que, même entre la même matière limitée et l’esprit, activité et passivité alternent sans fin — vous savez que là est l’unique infinitude de la spéculation, — elle n’est pas infinie seulement parce que, dans la direction de l’intérieur, elle est inachevable comme la morale. Non, elle est infinie dans toutes les directions, elle est un infini quant à la matière et quant à la forme, quant à l’être et à la vision et à la connaissance qu’on en a. Ce sentiment doit accompagner quiconque a vraiment de la religion. Chacun doit avoir conscience que la sienne n’est qu’une partie du tout, qu’à l’égard des mêmes objets qui l’affectent religieusement il y a des façons de voir tout aussi pieuses que les siennes et pourtant tout à fait différentes, et que, d’autres éléments de la [63] religion, découlent des intuitions et des sentiments pour lesquels le sens qu’il faut avoir lui fait peut-être complètement défaut. Vous voyez à quel point une belle modé-