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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/163

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ration, une affectueuse et accueillante tolérance jaillit directement du concept[1] de la religion, et comme elle en est inséparable.

Quelle injustice par conséquent dans votre attitude à l’égard de la religion, quand vous lui reprochez d’être animée d’un esprit de persécution et de haine, de disloquer la société, et de faire couler le sang comme de l’eau. Accusez de ces torts ceux qui corrompent la religion, la submergent sous la philosophie, veulent la jeter dans les chaînes d’un système. À quel sujet donc, en religion, s’est-on battu, a-t-on formé des partis, a-t-on allumé des guerres ? Au sujet de la morale parfois, et toujours au sujet de la métaphysique, or toutes deux n’en font pas partie intégrante. La philosophie, oui, tend à soumettre ceux qui veulent savoir à un savoir commun, vous en êtes chaque jour témoins, mais la religion ne tend pas à soumettre ceux qui croient et sentent à une même foi et à un même sentiment[2]. Sans doute elle tend à ouvrir les yeux de ceux qui ne sont pas encore capables de saisir intuitivement l’Univers, car tout voyant est un nouveau prêtre, un nouveau médiateur, un nouvel organe ; mais pour cette raison précisément elle fuit avec répugnance [64] la glabre uniformité qui détruirait de nouveau cette divine surabondance[3].

L’esprit de système assurément repousse l’élément étranger, si admissible pour la pensée, si vrai soit-il, qui, en réclamant sa place, pourrait déranger les séries bien arrêtées de son groupement à lui, et en troubler le bel ensemble. C’est dans cet esprit de système qu’est le siège des contradictions ; il ne peut pas ne pas guerroyer et persécuter, car étant donné que l’objet particulier est rapporté à un autre objet particulier et fini, l’un des deux peut assurément, du fait de son existence, détruire l’autre.

  1. B : de la nature essentielle.
  2. Ne pas oublier que l’auteur a en vue non les religions positives, mais la religion en soi, la religion pure, à laquelle il attribue une absolue tolérance.
  3. La note 9 de 1821 explique que l’esprit de système visé ici est une dégénérescence maladive du besoin de la systématisation dogmatique, laquelle est légitime, et nécessaire pour l’établissement et le maintien de la foi, comme la lettre à la fixation de l’esprit.