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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/164

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Mais dans l’infini, tous les objets finis coexistent côte à côte sans se gêner ; tout est un et tout est vrai. Aussi les esprits systématiques sont-ils les seuls auteurs de tout ce mal. La Rome nouvelle, impie mais conséquente, brandit des foudres d’excommunication et expulse des hérétiques ; la Rome antique, animée d’une vraie piété et d’une religion de haut style, était hospitalière à l’égard de n’importe quel dieu, et c’est ainsi qu’elle devint pleine de dieux. Les partisans de cette lettre morte, que la religion rejette, ont rempli le monde de criailleries et de vacarme. Les vrais contemplateurs de l’Éternel ont toujours été des âmes tranquilles, ou bien isolées dans leur intimité avec elles-mêmes et l’Infini, ou bien, quand elles regardaient autour d’elles, accordant volontiers, à quiconque était capable de comprendre cette grande maxime, le droit d’être lui-même. Mais la religion considère aussi [65] avec cette largeur de coup d’œil, et ce sens de l’Infini, ce qui se trouve en dehors de son domaine propre ; elle est apte à l’universalité la plus diversifiée dans la façon de juger et de considérer les choses, et cette aptitude[1], on ne saurait en fait la tirer d’ailleurs.

Que n’importe quoi d’autre — je n’exclus ni la morale ni la philosophie, et en appelle bien plutôt à leur égard à votre propre expérience — que n’importe quoi d’autre anime un homme : sa pensée et ses aspirations, quel que soit l’objet qu’elles visent, l’enferment dans un cercle étroit, à l’intérieur duquel est enserré ce qui est pour lui le bien suprême, et hors duquel tout lui paraît vulgaire et indigne. Celui qui ne veut que penser systématiquement, agir en fonction d’un principe et d’un dessein, exécuter dans le monde ceci ou cela, celui-là inévitablement se pose lui-même des bornes, et s’oppose toujours à lui-même, comme objet de sa répugnance, ce qui ne favorise pas son comportement. Seule, la tendance à la contemplation intuitive, quand elle est dirigée vers l’Infini, met l’esprit dans un état de liberté illimitée ; la religion seule le sauve des chaînes les plus déshonorantes de l’opinion et de la cupidité. Pour elle, tout ce qui est nécessaire, et

  1. Ou : cette universalité.