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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/193

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la volonté de l’Être éternel, et ce qui n’est pas fait par nous se réalisera une autre fois[1] ; mais cette noble consolation aussi n’est pas du ressort de la moralité ; pas une goutte de religion ne peut être mêlée à celle-ci sans la phlogistiquer[2] pour ainsi dire, et lui faire perdre sa pureté.

Là où se manifeste le plus distinctement cette complète inintelligence de ce qui concerne la religion, c’est dans les sentiments qui s’y rapportent, et qui sont encore le plus largement répandus parmi vous[3]. Si intimement qu’ils soient liés à ces intuitions, si nécessairement qu’ils en découlent, et si évidemment qu’ils ne soient explicables que par elles, ils n’en sont pas moins l’objet d’un radical malentendu. Quand l’Esprit du monde s’est révélé à nous majestueusement, quand nous sommes parvenus à surprendre le secret de l’activité qu’il exerce, en se conformant à des lois si grandement conçues et si magnifiques, quoi de plus naturel que d’être pénétré d’un intime respect pour l’Éternel et Invisible ? Et quand nous avons contemplé intuitivement l’Univers, et que de lui nous revenons à considérer notre moi, en comparaison [109] avec lui d’une petitesse infiniment évanescente, qu’est-ce qui peut être plus naturel à l’homme mortel qu’une vraie et sincère humilité ? Quand, dans l’intuition du monde, nous percevons aussi nos frères, et voyons clairement comme chacun d’eux est de ce point de vue, sans distinction, exactement ce que nous sommes, une représentation particulière de l’humanité, et comment l’existence de chacun d’eux est indispensable pour que nous ne soyons pas privés de la connaissance intuitive de l’humanité, quoi de plus normal que de les serrer dans nos bras tous indifféremment, sans tenir compte des différences même entre les opinions et la force de l’esprit, avec un amour et une sympathie jaillis du fond du cœur ? Et si, de leur connexion

  1. C ajoute : par d’autres.
  2. Le phlogistique : fluide que le médecin et chimiste allemand Stahl, 1660-1734, avait imaginé pour expliquer la combustion, très généralement admis au xviiie siècle, et dont Lavoisier a démontré l’inexistence.
  3. Les pages 108 à 112 définissent comme religieux des sentiments moraux qu’il est normal de considérer comme tels.