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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/194

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avec le tout, notre regard se reporte à leur influence sur les événements qui nous sont personnels, et qu’alors se présentent à nos yeux les êtres qui se sont relâchés dans leurs efforts pour élargir et isoler leur propre existence éphémère, et cela dans l’intérêt de la nôtre pour la maintenir, comment pourrons-nous ne pas nous sentir particulièrement apparentés avec ceux dont l’activité a un jour été une activité de combat pour notre existence, et a mené celle-ci à bien au prix de dangers pour eux-mêmes ? Sentiment de reconnaissance, qui nous pousse à honorer en eux des êtres qui se sont déjà unis au Tout, et ont conscience de vivre dans le Tout.

Si au contraire [110] nous considérons l’habituelle conduite des hommes qui ne savent rien de cette dépendance[1], que voyons-nous ? Nous les voyons saisir et retenir et cette chose-ci et cette chose-là, en vue de retrancher leur moi derrière maint rempart extérieur, afin de pouvoir mener leur vie à part, dirigée à leur propre gré, sans que l’éternel courant du monde y détraque rien ; nous voyons comment alors, nécessairement, le destin balaie tout cela de son flot, et les blesse eux-mêmes, les tourmente de mille façons ; quoi de plus naturel alors que la pitié la plus cordiale pour toute la souffrance et les douleurs qui naissent de ce combat inégal, et pour tous les coups que la redoutable Némésis distribue de tous côtés ? Et quand nous sommes arrivés à discerner ce qui, dans la marche de l’humanité, est toujours maintenu et favorisé de façon á progresser, et ce qui doit inévitablement, tôt ou tard, être vaincu et détruit, au cas où cela ne se prête pas à la transformation et au changement, si alors, détournant notre regard de cette loi, nous le portons sur notre propre activité dans le monde, quoi de plus naturel qu’un bourrelant repentir de tout ce qui en nous est hostile au génie de l’humanité, que l’humble vœu de se concilier la divinité, que l’ardent désir de faire demi-tour[2], [111] et de nous réfugier, avec tout ce qui nous appartient, dans ce

  1. Il convient de noter ici l’emploi du terme qui prendra plus tard une si grande importance dans la dogmatique de Schleiermacher ; dans les Discours, je crois bien qu’il ne figure que là, il n’est en tout cas pas du tout mis en relief.
  2. L’auteur dit umkehren, et non sich bekehren, se convertir ; tout son langage est ici plus laïque que chrétien.