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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/207

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comme un blasphème que la foi en Dieu dépende de l’orientation de l’imagination ; vous n’êtes pas sans savoir que l’imagination créatrice est-ce qu’il y a de plus haut et de plus spontané dans l’homme, et qu’en dehors d’elle, tout n’est que réflexion sur elle[1] ; vous n’êtes pas sans savoir que c’est cette imagination qui crée pour vous le monde, et que vous ne pouvez avoir de dieu sans monde[2]. J’ajoute que ce qui vient d’être dit ne rendra personne moins certain de l’existence de Dieu, et que nul ne se soustraira plus facilement à la quasi inéluctable nécessité de l’admettre parce qu’il n’ignore pas d’où lui vient cette nécessité. [130] Ainsi donc, dans la religion, l’idée de Dieu n’a pas une place aussi haute que vous le pensez.

Aussi bien, parmi les hommes vraiment religieux, n’y a-t-il jamais eu de zélateurs, d’exaltés ou de mystiques passionnés pour l’existence de Dieu ; ils ont vu à côté d’eux avec un grand calme ce qu’on appelle athéisme, et il y a toujours eu quelque chose qui leur paraissait plus irréligieux que cela. Dieu aussi ne peut pas intervenir dans la religion autrement qu’agissant, et personne encore n’a nié une vie et une activité divines de l’Univers[3], et la religion n’a rien à faire avec le dieu existant et imposant sa volonté, de même que le dieu de la religion n’est utile en rien aux physiciens et aux moralistes, dont ce sont là et seront toujours les tristes malentendus. Le dieu agissant de la religion ne peut pas garantir notre félicité, car un être libre ne peut pas vouloir agir sur un être libre autrement qu’en se faisant connaître de lui, que ce soit par la douleur ou par le plaisir, peu importe. Cet être ne peut pas non plus nous inciter à la moralité, car il n’est pas considéré autrement qu’agissant ; or sur notre mora-

  1. Cette romantique apologie de la Phantasie sera maintenant dans B et C. On voudrait pouvoir employer ici par anticipation le terme créé par Bergson : la fonction fabulatrice.
  2. Cf. Hegel : « Sans monde, Dieu n’est pas Dieu ». Une telle pensée est indiquée ou explicitée dans bien des doctrines. Ici elle peut correspondre à l’idée que, sans ses « représentations » finies, l’Infini n’est que virtuel. Mais l’opposition entre virtuel et actuel est très peu apparente dans ces Discours. Cette pensée semble donc y rester en l’air.
  3. Ces singulières affirmations sont à peine adoucies, et tout aussi peu appuyées par des faits ou des arguments dans B et C.