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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/208

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lité, rien ne peut agir, on ne peut concevoir aucune action exercée sur elle.

Quant à ce qui concerne l’immortalité, je ne poux cacher que la façon de [131] la comprendre et d’y aspirer est[1] chez la plupart des hommes tout à fait irréligieuse, tout à fait contraire à l’esprit de la religion ; leur souhait d’être immortel n’a d’autre raison que l’aversion à l’égard de ce qui est le but de la religion. Rappelez-vous comme tout dans celle-ci tend à ce que les contours nettement découpés de notre personnalité se prêtent à plus d’extension, de manière à se perdre peu à peu dans l’infini, tend à ce que par la vision intuitive de l’Infini nous devenions autant que possible un avec lui ; ces désireux d’immortalité au contraire regimbent contre l’Infini ; ils ne veulent pas sortir de la limitation à laquelle ils sont habitués[2], ils ne veulent rien être qu’eux-mêmes et sont anxieusement soucieux de leur individualité[3]. Rappelez-vous comme le but suprême de la religion était de découvrir un Univers au delà et au-dessus de l’humanité, et comme son unique plainte était qu’on n’y réussisse pas bien dans ce monde ; mais ces gens-là ne veulent pas même saisir la seule occasion qui s’offre de dépasser l’humanité, celle qui leur est offerte par la mort[4] ; ils se demandent avec inquiétude comment ils prendront l’humanité avec eux de l’autre côté de ce monde, et aspirent tout au plus à avoir des yeux portant plus loin et de meilleurs membres. Mais l’Univers[5] leur parle comme il est écrit : celui qui perd sa vie pour l’amour de moi la conservera, et celui qui veut la conserver [132] la perdra[6]. La vie qu’ils veulent conserver est une vie misérable, car si ce qui leur importe c’est l’éternité de leur personne, pourquoi ne se soucient-ils

  1. C : m’apparaît comme.

    À partir d’ici jusqu’à la fin de ce discours, p. 133, l’auteur s’explique sur l’idée de l’immortalité.

  2. Cette subordonnée déterminative est une adjonction de B.
  3. Individualität, remplacé dans B par Persönlichkeit.
  4. Cf. p. 154.
  5. B : Dieu.
  6. La citation n’est pas tout à fait exacte. Matthieu X, 39 et XVI, 25, et Luc IX, 24, sont d’accord pour dire : Celui qui conservera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la retrouvera.