Aller au contenu

Discours sur la religion/Discours III

La bibliothèque libre.
Traduction par Isaac-Julien Rouge.
Aubier-Montaigne (p. 207-232).

TROISIÈME DISCOURS

SUR LA CULTURE DE L’ESPRIT EN VUE DE LA RELIGION[1]

[134] Ce que j’ai moi-même reconnu spontanément comme un trait fondamental de la religion, la tendance à vouloir convertir des incroyants et faire d’eux des prosélytes[2], n’est pas ce qui me pousse à présent à vous parler aussi de l’éducation à donner à l’homme en vue de favoriser en lui cette très haute disposition, et de ce qui conditionne cette dernière. Pour atteindre ce but, la religion ne connaît qu’un moyen : s’exprimer et se communiquer librement.

Quand elle se meut avec toute la force qui lui est propre, quand elle entraîne avec elle, dans le courant de ce mouvement, et met au service de ce dernier toutes les facultés de son esprit, elle s’attend aussi à pénétrer jusqu’au plus intime de tout individu qui [135] respire son atmosphère, elle s’attend à ce que tout ce qui en lui est de même nature qu’elle subisse son influence[3], parvienne, porté par le même élan, à la conscience de son existence, et réjouisse, par la réponse d’une intonation apparentée, celui qui a lancé cet appel, et dont l’oreille est avide de cet écho.

C’est ainsi seulement, par les manifestations naturelles de sa propre vie, qu’elle veut faire naître ce qui lui est semblable, et là où elle n’y réussit pas, elle dédaigne fièrement toute incitation étrangère, tout procédé violent, tranquillisée par la conviction que l’heure n’est pas encore venue où quelque chose d’apparenté à elle peut prendre vie.

Pareil insuccès n’est pas chose nouvelle pour moi. Combien de fois n’ai-je pas entonné la musique de ma religion pour émouvoir mon entourage, débutant par quelques notes isolées à voix basse, et m’élevant peu à peu avec une fougue juvénile, soulevé par la plénitude de mon aspiration, jusqu’à la plus pleine harmonie des sentiments religieux. Mais rien ne s’éveillait et rien ne répondait chez mes auditeurs. Les paroles aussi que je confie à présent, chargées de tout ce qu’elles devraient offrir de bon, à un cercle[4] plus large et plus disposé à se laisser émouvoir, de combien de côtés ne me reviendront-elles pas cependant tristes, incomprises, sans avoir éveillé même le plus léger pressentiment de ce qui était leur dessein. Et combien de fois devrai-je, moi et tous les messagers de la religion, renouveler encore l’expérience de ce destin, le nôtre, [136] à nous assigné dès l’origine. Cependant ce ne sera jamais là pour nous un sujet de tourment, car nous savons qu’il ne peut en être autrement ; et nous ne chercherons jamais à imposer notre religion par une autre voie quelconque, pas plus à cette génération qu’à celle à venir.

Alors que je manque moi-même, je le sens, de plus d’un des éléments que comporte la totalité humaine ; alors que beaucoup de ceux-ci manquent à tant d’êtres, quoi d’étonnant à ce que le nombre soit grand aussi de ceux auxquels la religion a été refusée. Il doit être nécessairement grand, car comment sans cela aurions-nous une intuition d’une part de la religion elle-même[5], d’autre part des limites qu’elle pose en tous sens aux autres aptitudes de l’homme ? D’où saurions-nous jusqu’où celui-ci peut parvenir, ici ou là sans elle, et où elle le soutient[6] et le fait progresser ? D’où devinerions-nous avec quel affairement elle travaille à agir en lui, même sans qu’il le sache ? En particulier conforme à la nature des choses est que, dans ces temps de confusion et de perturbation générales, chez beaucoup le feu dormant ne s’enflamme pas, et, avec quelque amour, quelque patience que nous en prenions soin, ne puisse pas être avivé, alors que, dans des circonstances plus favorables, il aurait vaincu en eux tous les obstacles. À une époque où rien des choses humaines ne reste [137] inébranlé, où chacun voit à chaque instant ce qui précisément détermine sa place dans le monde, et le rattache à l’ordre terrestre des choses, sur le point non seulement de lui échapper et de se laisser saisir par un autre, mais de sombrer et disparaître dans le tourbillon général ; où les uns ne ménagent aucun effort de leurs énergies, et de plus appellent encore de tous côtés à l’aide, pour maintenir ce qu’ils considèrent comme les pivots du monde et de la société, de l’art et de la science, pivots qui ne se soulèvent que par l’effet d’un incompréhensible destin, comme d’eux-mêmes, du sein de leur être le plus intime, et laissent tomber ce qui s’était si longtemps mû autour d’eux ; alors que les autres sont activement occupés, avec un zèle non moins inlassable, à débarrasser le terrain des décombres de siècles effondrés, pour être des premiers à s’établir en colons sur le sol fécond que forme sous leurs pieds la lave vite refroidie du terrible volcan ; à une époque où chacun, même sans quitter sa place, est si puissamment remué par les violentes secousses de tout l’ensemble que, dans le tourbillon du vertige général, il doit être heureux de fixer le regard sur un objet quelconque assez solidement pour s’y tenir attaché, et pouvoir se convaincre peu à peu qu’il y a pourtant quelque chose [138] encore qui reste debout : dans un tel état de choses, il serait fou d’attendre que beaucoup d’humains puissent être aptes à percevoir l’Infini.

Sans doute, l’aspect que celui-ci représente est plus que jamais majestueux et sublime, on peut saisir en un instant des traits plus révélateurs qu’en des siècles à d’autres époques[7]. Mais qui peut se mettre à l’abri de l’agitation et de la poussée générales ? Qui peut se soustraire à l’impérieuse pression d’un intérêt plus limité ? Qui est assez calme et assez ferme pour rester immobile et contempler ? D’ailleurs, même dans les temps les plus heureux, même avec la meilleure volonté du monde, non seulement aviver en la communiquant la religion là où elle est, mais l’inoculer et l’inculquer par toutes les voies qui s’y prêtent : où se trouve donc une semblable voie ? Ce qui peut être opéré dans un être humain par l’art, et par une activité étrangère, se réduit à ceci : vous lui communiquez vos représentations des choses, et faites de lui un magasin de vos idées ; vous entrelacez assez celles-ci avec les siennes pour qu’il s’en souvienne à un moment opportun ; mais vous ne pouvez jamais obtenir comme résultat que, celles que vous voulez, il les produise[8], les tirant de lui-même. Vous voyez la contradiction, qui est inséparablement incluse dans les mots déjà. Vous ne pouvez pas même habituer [139] quelqu’un à répondre à une impression déterminée, si fréquemment qu’elle se répète, par une réaction déterminée ; vous pourriez bien moins encore l’amener à se dégager de cette connexion, et à engendrer librement, en cette occurrence, une activité intérieure.

En résumé, vous pouvez agir sur le mécanisme de l’esprit, mais dans l’organisation de celui-ci, dans ce laboratoire sacré de l’Univers, vous ne pouvez pas pénétrer à votre gré ; là vous ne pouvez rien changer ou déplacer, retrancher ou compléter, vous ne pouvez que retenir le développement et mutiler, par la violence, une partie de ce qui doit croître selon sa propre loi. C’est du plus intime de son organisation qu’il faut que procède ce qui doit faire partie intégrante de la vie de l’homme et demeurer en lui force impulsive toujours active et effective.

Or la religion est une de ces forces. Dans l’âme qu’elle habite, elle est agissante et vivante sans interruption ; elle fait de toute chose un objet pour elle-même ; de toute pensée, de toute action, elle fait un thème pour sa céleste fantaisie. Tout ce qui doit comme elle être dans l’âme humaine un élément continuellement présent et vivant[9] est tout à fait en dehors de ce qui s’enseigne et s’inculque. C’est pourquoi, pour quiconque voit ainsi la religion, l’enseignement [140] religieux est un terme absurde et vide de sens. Nous pouvons fort bien communiquer à d’autres nos opinions et nos doctrines : nous n’avons besoin pour cela, nous que de mots, et eux, que de la force d’esprit nécessaire pour comprendre et imiter. Mais nous savons très bien que ce ne sont là que les ombres de nos intuitions et de nos sentiments, et ceux qui ne partagent pas avec nous ces intuitions et ces sentiments ne comprendraient pas ce qu’ils disent et ce qu’ils croient penser. Nous ne pouvons pas leur enseigner à voir intuitivement ; nous ne pouvons pas faire passer de nous en eux la force et la capacité nécessaires, pour, en présence de n’importe quels objets, aspirer d’eux partout, et insuffler à notre organe, la lumière originelle de l’Univers. Nous pouvons peut-être stimuler le talent mimique de leur imagination créatrice assez pour qu’il leur devienne facile, si des intuitions de la religion leur sont dépeintes en couleurs vigoureuses, de produire en eux quelques émotions qui ressemblent de loin à ce dont ils voient nos âmes remplies. Mais cela pénètre-t-il leur être ? Est-ce là de la religion ?

Si vous voulez comparer notre sens pour l’Univers avec celui qu’on a pour l’art, il ne vous faut pas, considérant ces détenteurs de ce qu’on peut appeler une religion passive, les opposer à ceux qui, sans produire eux-mêmes des [141] œuvres d’art, sont cependant émus et saisis par chacune de celles qui s’offrent à leur intuition. Car les œuvres d’art de la religion sont exposées toujours et partout ; le monde entier est une galerie de tableaux[10] religieux, et tout homme se trouve placé au milieu de ce musée. Non, ceux avec qui vous devez comparer ces détenteurs de religiosité passive, ce sont ceux chez qui une impression ne peut être éveillée qu’en leur administrant, comme un stimulant médicinal, des commentaires et des fantaisies sur l’art[11], et qui même alors ne veulent que balbutier, dans une langue technique mal comprise, quelques mots inadéquats, où il n’y a rien qui vienne d’eux. Telle est la fin[12] de tout enseignement et de toute éducation procédant d’un dessein intentionnel dans ce domaine. Montrez-moi un homme à qui vous avez inculqué et inoculé jugement, esprit d’observation, sens de l’art, ou moralité. Alors, je me ferai fort d’enseigner aussi la religion.

Oui sans doute il y a en elle une hiérarchie de maîtres et de disciples ; il y a des individus auxquels viennent s’en rattacher des milliers. Mais cette adhésion n’est pas une imitation aveugle, et ces disciples ne sont pas disciples parce que le maître les a faits tels : il est leur maître parce qu’ils l’ont eux choisi comme tel[13]. Celui qui, par les manifestations de sa propre religion, a éveillé la religion chez d’autres, n’a après cela plus pouvoir sur ceux-ci [142] pour les retenir près de lui ; leur religion à eux aussi est libre, du moment qu’elle vit, elle suit sa propre voie. Sitôt que l’étincelle sacrée flambe dans une âme, le feu s’élargit en flamme libre et vivante qui puise son aliment dans sa propre atmosphère. Cette flamme illumine pour l’âme plus ou moins toute l’étendue de l’Univers, et l’âme peut à son gré établir son siège assez loin aussi du point où elle a d’abord été enflammée pour sa nouvelle vie[14]. Contrainte, par le seul sentiment de son impuissance et de sa finitude, de s’installer dans une région déterminée quelconque, elle choisit, sans devenir pour cela ingrate à l’égard de son premier guide, le climat, n’importe lequel qui lui agrée le plus ; là, elle se cherche un centre, elle se meut sur sa nouvelle voie par libre auto-limitation, et donne le nom de maître à celui qui le premier a adopté la région qu’elle préfère, qui le premier en a montré la splendeur, en a fait sa disciple par choix propre et libre amour.

Ce n’est donc pas que je veuille vous former, vous ou d’autres, pour la religion, ou vous enseigner comment vous devez vous y former vous-mêmes, à dessein ou avec méthode : ce serait sortir du domaine de la religion, à [143] l’intérieur duquel je veux prolonger mon séjour avec vous. L’Univers se forme lui-même ses observateurs et ses admirateurs ; comment le fait se produit, voilà ce que nous voulons à présent considérer intuitivement, autant que la chose est possible.

Vous savez que la façon dont chaque élément particulier de l’humanité apparaît dans un individu dépend du degré où cet élément est, par rapport aux autres, soit limité par eux, soit laissé libre ; ce n’est que par ce conflit général que chacun d’eux revêt, dans chaque individu, une figure et une grandeur déterminées ; ce conflit à son tour n’est entretenu que par la solidarité des êtres particuliers et par le mouvement de l’ensemble. Ainsi chaque être et chaque chose est en chacun et chacune une œuvre de l’Univers[15], et c’est ainsi seulement que la religion peut considérer l’homme. Je voudrais vous ramener à cette base de notre existence déterminée et à ce qui limite religieusement nos contemporains ; je voudrais vous faire comprendre distinctement pourquoi nous sommes ainsi que nous sommes et non autrement, et ce qui devrait arriver pour que nos bornes de ce côté fussent à présent reculées. Je voudrais que vous pussiez prendre conscience de la manière dont, par votre être et votre activité, vous êtes, vous aussi, en même temps instruments de l’Univers, et comment votre activité, dirigée sur de tout autres objets, exerce, elle aussi, une influence sur la religion et son état le plus proche.

[144] L’homme naît doué de l’aptitude pour la religion comme de toutes les autres et pour peu que son sens ne soit pas violemment comprimé, que toute communauté entre lui et l’Univers ne soit pas entravée et barrée, — ce sont là, on en convient, les deux éléments de la religion, — cette aptitude devrait immanquablement se développer chez chacun de la manière qui lui serait propre. Mais cette compression entravante est malheureusement ce qui, à notre époque, se produit dès l’enfance dans une si forte mesure. Je vois chaque jour avec douleur comment la rage de comprendre ne laisse pas du tout le sens germer et se développer, et comme tout s’unit pour tenir l’homme enchaîné au fini, et encore à un très petit point de celui-ci, afin que l’Infini soit repoussé aussi loin que possible de ses yeux. Qu’est-ce qui empêche l’heureux développement de la religion ? Ce ne sont pas les douteurs et les railleurs ; ceux-ci, il est vrai, communiquent volontiers leur volonté de ne pas avoir de religion, mais la nature, elle, veut la produire, et ils ne l’entravent pas. Ce ne sont pas non plus, comme on le croit, les gens sans moralité : c’est à une tout autre force que s’opposent leurs efforts et leur action. Non, ce sont, dans l’état actuel du monde, les hommes judicieux[16] et pratiques qui font contrepoids à la religion, et leur grande [145] prépondérance est la cause du rôle si indigent et insignifiant qu’elle joue. Ils maltraitent l’homme dès sa plus tendre enfance, et compriment son aspiration à s’élever à ce qui est d’un niveau supérieur.

C’est avec un pieux recueillement qu’il m’arrive de suivre du regard l’aspiration au merveilleux et au surnaturel dans de jeunes esprits. Déjà, en même temps qu’ils recherchent le contact avec le fini et le déterminé, ils cherchent autre chose aussi, qu’ils puissent y opposer ; dans toutes les directions ils voudraient saisir quelque chose qui soit de nature à déborder le monde des apparences sensibles et de ses lois, et si abondamment que leurs sens soient comblés par des objets terrestres, ils sont, eux, toujours comme si, à côté de ces sens, ils en avaient d’autres, condamnés à dépérir s’ils manquent d’aliments. C’est là le premier éveil de la religion. Un pressentiment secret, incompris, les pousse à dépasser les limites de la richesse de ce monde ; c’est la raison pour laquelle est si bienvenu d’eux tout ce qui en fait pressentir un autre et met sur sa trace. C’est la raison pour laquelle ils prennent leur plaisir à des poèmes mettant en scène des êtres supraterrestres ; tout ce dont ils savent le plus clairement que cela ne peut pas se trouver sur cette terre, ils l’étreignent avec tout l’amour jaloux que l’on voue à un objet sur lequel on a un droit manifeste, qu’on ne peut cependant pas faire valoir. Sans doute, est-il illusoire de chercher l’Infini précisément en dehors [146] du fini, de chercher le contraire en dehors de ce à quoi on l’oppose[17]. Mais cette illusion n’est-elle pas des plus naturelle chez ceux qui ne connaissent pas encore le fini lui-même ? Et n’est-elle pas celle de peuples entiers, d’écoles de la sagesse entières ? S’il y avait parmi ceux qui s’occupent de la jeunesse des stimulateurs de la religion, combien facilement serait corrigée cette erreur née de dispositions de la nature elle-même, et avec quelle avidité, en des temps moins obscurcis, la jeune âme ne s’abandonnerait-elle pas aux impressions que produit l’Infini dans son omniprésence. Autrefois, on laissait cette erreur produire tranquillement ses effets. On pensait que le goût des figures grotesques caractérise la fantaisie juvénile en religion comme en art ; on le satisfaisait abondamment ; on allait même, de façon bien insouciante, jusqu’à rattacher directement à ces jeux aériens de l’enfance la mythologie sérieuse et sainte, ce qu’on considérait soi-même comme religion : Dieu, le Sauveur, les anges, n’étaient qu’une autre espèce de fées et de sylphes. De la sorte, il est vrai, la poésie ne donna que trop tôt l’occasion d’introduire et de fixer, par malentendus, de semblables éléments dans la religion à titre de dogmes[18], mais l’homme restait plus abandonné à lui-même, et il était plus facile à un esprit droit, non corrompu, capable de rester libre [147] à l’égard du joug de la compréhension par l’intelligence et la discussion de trouver, dans un âge plus avancé, le chemin pour sortir de ce labyrinthe. Actuellement au contraire, cette inclination est dès le premier instant violemment comprimée, tout surnaturel et merveilleux est proscrit, on ne veut pas que la fantaisie soit remplie de vaines images alors qu’on peut tout aussi facilement y introduire des réalités, et préparer à la vie. Ainsi les pauvres jeunes âmes, assoiffées de tout autre chose, sont soumises à l’ennui d’histoires morales, et on leur apprend comme il est beau et utile d’être bien sage et bien raisonnable ; on les imprègne de notions abstraites de choses communes, et sans tenir compte de ce qui leur manque, on leur offre toujours plus de ce dont elles n’ont déjà que trop.

Pour protéger dans une certaine mesure le sens contre les usurpations des autres facultés, il y a, implantée en tout homme, une disposition à laisser parfois reposer toute autre activité, à ouvrir simplement tous ses organes pour se laisser pénétrer par toutes les impressions ; et par l’effet d’un accord sympathique secret et des plus bienfaisant, cet instinct atteint à sa plus grande force précisément quand la vie générale se manifeste de la façon la plus distincte au sein de l’individu et dans le monde environnant. Mais on veille à [148] ce qu’il ne soit pas permis de se laisser aller à ce penchant dans un heureux état de paisible oisiveté, car du point de vue de la vie bourgeoise, c’est là de la paresse et de la fainéantise. On exige en tout un dessein, un but ; chacun doit toujours accomplir quelque chose ; et quand l’esprit ne peut plus servir, qu’on exerce le corps : travail ou jeu, jamais de contemplation oisive pour l’exclusif plaisir de la contemplation[19]. La grande affaire, c’est que l’homme doit tout comprendre ; or par cet effort de compréhension, il est complètement frustré de son sens, car à la façon dont elle est pratiquée, elle est absolument opposée à ce dernier. Le sens se cherche des objets ; il va au-devant d’eux et s’offre à leurs embrassements ; il les veut porteurs de quelque chose qui les caractérise comme sa propriété, comme son œuvre ; il veut trouver et se laisser trouver. Pour leur compréhension, peu importe d’où les objets viennent. Mon Dieu ! ne sont-ils pas là ! propriété bien acquise, héréditaire ; depuis combien de temps ne sont-ils pas déjà dénombrés et définis ! Prenez-les seulement comme la vie les apporte, car ce sont précisément ceux qu’elle apporte qu’il vous faut comprendre ; vouloir s’en fabriquer et en chercher soi-même, voilà qui est excentrique, qui est arrogant, qui est occupation vaine, car quel fruit cela rapporte-t-il dans la vie humaine ? Aucun, sans doute. [149] Seulement, sans cela, on ne trouve aucun Univers[20].

Le sens aspire à saisir l’impression indivisée d’un tout ; il veut voir intuitivement ce qu’est une chose et comment elle est en elle-même, et connaître chacune dans son caractère distinctif ; or cela n’importe nullement à ces gens pour leur compréhension ; le « pourquoi et comment » est bien loin d’eux, car à leur avis cela se confond avec le « d’où » et le « en vue de quoi », dans le cercle desquels ils tournent éternellement.

Leur grand but, c’est la place qu’un objet prend dans la série des phénomènes ; son commencement et sa cessation est tout pour eux. Ils ne demandent pas non plus si et comment ce qu’ils veulent comprendre est un tout — cela assurément les conduirait loin, et si telle était leur tendance ils ne se tireraient sans doute pas d’affaire sans un peu tout au moins de religion ; — ce qu’ils veulent, ce n’est que le morceler et l’anatomiser. C’est ainsi qu’ils se comportent même à l’égard de ce qui est là précisément pour satisfaire le sens, au degré de sa plus haute puissance, à l’égard de ce qui, comme pour les braver, est un tout en soi-même, j’entends par là, à l’égard de tout ce qui est art, soit dans la nature, soit dans les œuvres de l’homme ; cela, ils l’anéantissent avant que l’effet puisse en être opéré ; ils veulent que cela puisse être compris en détail, et appris par pièces et morceaux détachés.

Vous ne pourrez pas [150] ne pas admettre que telle est en fait la pratique des gens entendus ; vous avouerez qu’une riche et vigoureuse surabondance du sens est nécessaire pour que celui-ci échappe, même en partie seulement, à ce traitement hostile et que, pour cette raison déjà, minime doit être le nombre de ceux qui s’élèvent jusqu’à la religion. Mais celle-ci perd encore davantage en consistance par suite de l’intervention de tout ce qu’on peut faire pour que ce qui a tout de même subsisté de sens n’aille au moins pas se tourner du côté de l’Univers. Les jeunes gens[21] doivent être maintenus, avec tout ce qui est en eux, dans les limites de la vie bourgeoise. C’est à cette vie que doit se rapporter toute activité, pensent les gens entendus, et la très prônée harmonie intérieure de l’homme consiste uniquement en ceci, que tout soit en rapport de réciprocité avec son activité. Ils estiment que chacun dispose de suffisamment de matière pour son sens, dispose de riches tableaux, exposés devant lui, même s’il ne se départ jamais de ce point de vue qui est le centre à la fois de son stationnement et de son pivotement. C’est pourquoi tous les sentiments d’un autre ordre sont considérés comme dépenses inutiles, par lesquelles on s’épuise, et qu’une activité bien conduite doit autant que possible retenir l’esprit de faire. C’est pourquoi le pur amour de la [151] poésie et de l’art est un dévergondage, que l’on ne tolère que parce qu’il n’est pas tout à fait aussi grave que d’autres. Ainsi le savoir aussi est recherché avec une sage et sobre mesure, afin qu’il ne dépasse pas ces limites ; et tandis que la moindre chose qui exerce une influence dans ce domaine est prise en considération, l’objet le plus grand, précisément parce que la portée en est plus lointaine, est décrié comme étant du monde des sens. Qu’il y ait des choses qu’il faut épuiser jusqu’à une certaine profondeur, c’est là pour les gens entendus un mal nécessaire, et, reconnaissants envers les dieux qu’il y ait toujours quelques individus qui se donnent à cette tâche par invincible inclination, ils les considèrent avec une sainte pitié, comme des victimes volontaires.

Qu’il y ait des sentiments qui ne veulent pas se laisser refréner par la nécessité pratique impérieuse statuée par les gens entendus, et que par suite tant d’hommes deviennent malheureux ou immoraux sur le plan de la vie bourgeoise — car je compte aussi dans cette catégorie ceux qui dépassent un peu les limites de l’industrialisme[22] et pour lesquels le côté moral de la vie bourgeoise est tout — c’est là l’objet de leur plus profond regret, et ils considèrent ce fait comme une des tares les plus graves de l’humanité, à laquelle ils souhaiteraient voir remédier le plus tôt possible. Le grand malheur est que ces braves [152] gens croient que leur activité embrasse exhaustivement l’univers et l’humanité, et que si l’on faisait ce qu’ils font, on n’aurait besoin d’aucun autre sens, que celui seulement nécessaire pour ce que l’on fait. C’est pourquoi ils mutilent tout de leur ciseau, et ils ne voudraient pas même laisser se produire une apparition originelle qui pourrait devenir un phénomène pour la religion[23] car ce qui peut être perçu et embrassé du regard en considérant les choses de leur point de vue, c’est-à-dire, tout ce à quoi ils veulent bien reconnaître une valeur, n’est qu’un cercle étroit et stérile, où n’existent ni science, ni mœurs, ni art, ni amour, ni l’esprit, ni même en vérité la lettre[24], en un mot rien à partir de quoi l’on pourrait découvrir le monde : et pourtant d’orgueilleuses prétentions à l’égard de tout cela.

Eux sans doute estiment posséder le vrai monde, le monde réel, et être ceux qui saisissent toutes choses dans leurs véritables connexions. S’ils pouvaient seulement se rendre une fois compte que, pour voir une chose quelconque comme élément du tout, il faut nécessairement l’avoir considérée dans sa nature propre et dans sa suprême perfection. Car, dans l’Univers, elle ne peut être quelque chose que par la totalité de son action et de ses connexions ; c’est de celles-ci que tout dépend, et pour la connaître, il faut [153] l’avoir considérée non en partant d’un point extérieur à elle, mais de son propre centre, et de tous les à-côté dans leur relation avec lui, c’est-à-dire, il faut la considérer dans son existence distincte, dans son être propre. Ne connaître qu’un point de vue pour tout, c’est l’exact opposé de connaître tous les points de vue pour considérer chaque chose ; c’est la voie sur laquelle on s’éloigne en ligne directe de l’Univers et, tombé dans la plus misérable étroitesse, on devient un véritable glebae adscriptus du petit coin de terre où l’on se trouve placé par hasard.

Dans les rapports entre l’homme et le monde il y a des échappées sur l’infini, des perspectives frayées, devant lesquelles tout homme est conduit à passer, afin que son sens découvre le chemin de l’Univers, et dont la vision excite des sentiments qui, à vrai dire, ne sont pas encore directement de la religion, mais du moins pour ainsi parler, un schématisme de la religion. Ces perspectives aussi, les gens entendus les obstruent sagement, ils bouchent l’ouverture avec un de ces objets dont on recouvre en général un coin insignifiant : quelque mauvaise image, quelque caricature philosophique. Si néanmoins, comme cela arrive parfois afin que même à ceux-là se révèle la toute-puissance de l’Univers, quelque rayon traversant cet objet frappe [154] leurs yeux ; si leur âme alors ne peut se défendre contre un faible éveil de ces sentiments, l’Infini n’est pas le but vers lequel elle vole pour s’y reposer ; il n’est, comme le terme d’une carrière, que le point autour duquel elle se meut avec la plus grande rapidité possible pour pouvoir revenir, le plus tôt sera le mieux, à sa vieille place. La naissance et la mort sont de ces points saillants, à la vue desquels ne peut nous échapper comme notre propre moi est enveloppé de tous côtés par l’Infini, et qui inspirent toujours une nostalgie silencieuse et un saint respect. Ce que l’intuition sensible a d’incommensurable est pourtant aussi une invite tout au moins à penser à un autre Infini plus haut. Mais pour eux rien ne serait préférable à la possibilité d’utiliser le plus grand diamètre aussi du système des mondes comme on fait aujourd’hui de la plus grande circonférence de la terre, pour mesurer et peser les choses de la vie ordinaire, et si l’intuition de la vie et de la mort les saisit une fois, quelle que soit alors l’abondance de leurs propos sur la religion, croyez-m’en, rien en toute occasion de ce genre ne leur tiendra plus à cœur que de gagner quelques jeunes gens à l’art de prolonger la vie[25].

Ces gens entendus sont suffisamment punis sans doute. En effet, [155] comme leur point de vue n’est pas assez élevé pour qu’ils construisent tout au moins eux-mêmes, d’après des principes, cette sagesse de la vie à laquelle ils tiennent, ils ne peuvent que se mouvoir servilement et respectueusement dans les limites de formes anciennes, ou prendre leur plaisir à de mesquines améliorations. Là est la pointe extrême de l’utile, vers laquelle notre époque s’est précipitée à grands pas, venant de l’inutile et scolastique sagesse de mots, barbarie nouvelle, digne pendant de l’ancienne. Tel est le beau fruit de la politique patriarcale eudémoniste qui a remplacé le despotisme brutal.

Nous avons tous passé par là[26], et l’aptitude à la religion a souffert dans son premier germe, de telle sorte qu’elle n’a pas pu se développer à la même allure que les autres dispositions. Ces hommes-là, je ne peux pas du tout les ranger dans une même catégorie avec vous, à qui je m’adresse, car d’une part, ils ne méprisent pas la religion, bien qu’ils l’anéantissent, et d’autre part, on ne peut pas non plus les appeler des gens cultivés, bien qu’ils cultivent notre époque et éclairent les hommes : ils voudraient même pousser cet éclaircissement jusqu’à une fâcheuse transparence. Ces gens-là forment toujours encore la majorité dominante ; vous et nous ne sommes qu’un petit groupe. Des villes entières, des pays entiers sont élevés conformément à leurs principes, et quand cette éducation a été surmontée, on retrouve [156] ces principes dans la société, dans les sciences et dans la philosophie, oui, même dans cette dernière, car non seulement l’ancienne — comme vous savez sans doute, on ne divise à présent, dans un esprit très historique, la philosophie qu’en ancienne, nouvelle et contemporaine — non seulement l’ancienne est leur propre habitat, mais ils ont pris possession même de la nouvelle.

Par sa puissante influence sur tous les intérêts de ce monde, et par le faux-semblant de philanthropie par lequel elle aveugle aussi le sens et l’esprit de sociabilité, cette façon de penser comprime toujours encore la religion, et s’oppose de toutes ses forces à tout mouvement par lequel celle-ci veut n’importe où manifester sa vie. Ce n’est par suite qu’à l’aide du plus vigoureux esprit d’opposition contre cette tendance générale que la religion peut aujourd’hui s’efforcer de se faire sa place, et elle ne peut jamais apparaître que sous la forme qui doit être la plus contraire à ces gens. Car, de même que tout obéit à la loi de la parenté, le sens aussi ne peut prendre la haute main que là où il a pris possession d’un objet auquel la compréhension qui lui est hostile ne tient que faiblement, et qu’il peut par conséquent s’approprier avec le plus de facilité et en gardant une surabondance de libre force. Or cet objet, c’est le monde intérieur et non l’extérieur.

La psychologie explicative, le chef-d’œuvre de cette espèce d’intelligence, a [157] d’abord, après s’être épuisée et presque déshonorée par son manque de mesure, cédé de nouveau la place à l’intuition. Par conséquent, celui qui est un homme religieux est sûrement replié sur lui-même avec son sens, occupé à se contempler intuitivement lui-même, abandonnant pour le moment encore tout l’extérieur, l’intellectuel aussi bien que le physique, aux gens entendus, comme grand but de leurs recherches. De même, en vertu de la même loi, ce sont ceux que leur nature éloigne le plus du point central de tous ces adversaires de leur Univers, qui trouvent le plus facilement la transition pour passer à l’Infini. De là vient que, depuis longtemps, tous les esprits vraiment religieux se distinguent par une teinte de mysticisme, et que toutes les natures portées au fantastique, qui n’aiment pas à s’occuper des réalités que comportent les affaires de ce monde, ont des accès de religion : c’est le caractère de tous les phénomènes religieux de notre époque, ce sont les deux couleurs dont ils sont toujours composés, bien que dans les mélanges les plus divers. Je dis les phénomènes, car, vu l’état des choses, il n’y a pas davantage à attendre.

Les natures portées au fantastique manquent de pénétration d’esprit, d’aptitude à s’emparer de l’essentiel ; [158] un jeu léger et alternatif de combinaisons belles, souvent ravissantes, mais toujours fortuites et absolument subjectives, leur suffit et se trouve être pour elles ce qu’elles connaissent de plus haut ; c’est en vain qu’un ensemble de corrélations profondes et intérieures s’offre à leurs yeux. Ces natures ne cherchent à proprement parler que l’infinitude et la généralité de la charmante apparence, qui est beaucoup moins, ou aussi beaucoup plus, que ce que peut atteindre vraiment leur sens ; c’est à cette apparence qu’elles sont habituées à s’en tenir, et c’est pourquoi toutes leurs vues restent discontinues et fugitives. Leur esprit, est prompt à s’allumer, mais d’une flamme vacillante, frivole pour ainsi dire ; elles n’ont que des accès de religion, comme elles en ont d’art, de philosophie, et de toute chose grande ou belle dont il arrive que la surface les attire. Ceux par contre chez qui la religion appartient à l’intimité de leur être, mais dont le sens reste toujours replié sur lui-même, parce que, dans l’état présent du monde, il n’est pas capable de s’emparer de quelque chose qui s’y ajoute[27], sont trop vite à court de substance pour devenir des virtuoses ou des héros de la religion[28].

Il existe une grande mystique vigoureuse, que même l’homme le plus frivole ne peut pas considérer sans respect et recueillement, et qui impose au plus rationaliste l’admiration par son héroïque simplicité et son [159] fier dédain du monde. Celui qui en est doué n’est pas saturé ou comblé d’intuitions extérieures de l’Univers ; mais, toujours ramené, par une mystérieuse impulsion, de chacune de celles-ci à lui-même, il en vient à voir en lui l’abrégé et la clef de tout ; une grande analogie et une foi hardie le convainquent qu’il n’a pas besoin de sortir de soi[29], vu que l’esprit possède en lui-même le nécessaire pour prendre conscience de tout ce que l’extérieur pourrait lui donner ; il résulte de là que, en vertu d’une libre résolution, il ferme pour toujours les yeux à tout ce qui n’est pas lui. Cependant, ce mépris n’est pas une méconnaissance, cette obturation du sens n’est pas une impuissance. Il en est au contraire ainsi des nôtres[30] : ils n’ont rien appris à voir en dehors d’eux parce que tout leur a été ébauché plutôt que montré, à la manière défectueuse de l’acquisition commune de la connaissance ; il ne leur reste de leur contemplation d’eux-mêmes ni assez de sens ni assez de lumière pour pénétrer ces vieilles ténèbres et, courroucés contre l’époque, à laquelle ils ont des reproches à adresser, ils ne veulent rien avoir à faire avec ce qui est son œuvre en eux. C’est pourquoi l’Univers[31] est en eux informe[32] et indigent ; ils ont trop peu à contempler intuitivement, et isolés comme ils [160] sont avec leur sens, contraints de tourner éternellement dans un cercle trop étroit, il arrive qu’après une vie maladive leur sens religieux se meurt de faiblesse indirecte par manque d’incitations.

Pour ceux dont le sens de l’Univers, plus vigoureux mais tout aussi peu cultivé, se tournant hardiment vers l’extérieur, cherche là aussi plus de matière et une matière nouvelle, il y a une autre fin, qui ne manifeste que trop distinctement leur discordance avec l’époque : une mort sthénique[33], donc, si vous voulez, une euthanasie, mais une euthanasie terrible, le suicide de l’esprit qui, incapable de comprendre le monde, dont l’essence intime, le grand sens, lui est resté étranger sous l’empire des vues mesquines de son éducation, trompé par des phénomènes confus, livré à des jeux de l’imagination déréglés, cherchant l’Univers et ses empreintes là où il n’a jamais été, en vient finalement à rompre complètement la connexion de l’intérieur et de l’extérieur, expulse la raison impuissante, et finit dans une sainte folie, dont personne presque ne discerne la source victime bruyamment plaintive, et pourtant incomprise, de l’universel mépris et mauvais traitement dont souffre ce qu’il y a de plus intime dans l’homme. Mais victime seulement, non héros : celui qui succombe, fût-ce seulement[34] dans la dernière épreuve, [161] ne peut pas être compté au nombre de ceux qui ont été initiés aux mystères les plus intimes[35].

Cette plainte, qu’il n’y a point parmi nous de représentants de la religion constants, et reconnus devant le monde entier, ne doit cependant pas infirmer ce que j’ai affirmé plus haut, sachant bien ce que je disais, à savoir que notre époque aussi n’est pas plus défavorable à la religion que n’importe quelle autre[36]. Certainement la religion n’a pas diminué en quantité dans ce monde, mais elle est morcelée, et trop éparpillée, par l’effet d’une violente pression ; par suite, elle ne se révèle que par des manifestations minimes et légères, mais nombreuses, qui renforcent la diversité du tout, et réjouissent l’œil du spectateur, plutôt qu’elles ne pourraient produire par le pour elles-mêmes une impression grande et sublime.

Que s’affirme ici une fois de plus cette conviction, et que chacun de vous en juge selon la conscience qu’il en a : il y a beaucoup d’êtres qui exhalent la plus fraîche haleine de leur jeune vie dans une sainte nostalgie et un saint amour de l’éternel et de l’impérissable, et ne sont vaincus par le monde que tard, peut-être jamais complètement ; il n’y en a point à qui le haut Esprit du monde ne soit une fois au moins, apparu, jetant, à celui qui, honteux de lui-même, rougissait de l’indigne étroitesse de ses limites, un de ces regards pénétrants que l’œil baissé peut [162] sentir sans le voir.

Ce qui manque à cette génération, et ne peut pas ne pas lui manquer, ce sont seulement les héros de la religion, les âmes saintes comme on en voyait autrefois, pour qui elle est tout, qu’elle pénètre tout entiers. Et toutes les fois que je réfléchis sur ce qui doit arriver et sur la direction que doit prendre notre culture pour que de nouveau des hommes religieux apparaissent, dans un style supérieur, produits, rares sans doute, mais naturels de leur époque, je trouve que vous-mêmes, — il vous appartient de décider si c’est consciemment ou non — par tout l’effort de votre aspiration, vous n’aidez pas peu à une palingénésie de la religion, et que soit votre activité générale, soit le zèle d’un cercle plus étroit, soit les très hautes idées de quelques esprits exceptionnels, sont utilisés, au cours de la marche de l’humanité, en vue de ce but final.

L’étendue et la vérité de l’intuition dépendent de l’acuité et de la portée du sens, et le plus sage, dépourvu de sens, n’est pas plus proche de la religion que le plus fou, doué d’un regard juste. Le point de départ de tout, c’est donc que fin soit mise à l’esclavage dans lequel le sens des hommes se trouve maintenu, [163] maintenu pour favoriser ces exercices de la raison qui n’exercent rien, ces explications qui n’éclairent rien, ces analyses qui ne résolvent rien. Et c’est là un but en vue duquel vous travaillerez bientôt tous dans l’union de vos forces. Il en a été des améliorations de l’éducation comme de toutes les révolutions qui n’ont pas été entreprises en s’inspirant des plus hauts principes : elles reviennent peu à peu par glissement à la vieille allure des choses, et seuls quelques changements extérieurs entretiennent le souvenir de l’événement tenu au début pour merveilleusement grand : l’éducation raisonnable et pratique ne se distingue plus que peu de l’ancienne, la mécanique, et ce peu ne réside ni dans l’esprit ni dans l’influence exercée. Cela ne vous a pas échappé. Cette éducation vous est déjà en majeure partie aussi odieuse qu’à moi[37], et une idée plus pure se répand au sujet, soit de la sainteté de l’âge enfantin, soit de l’éternité de l’inviolable liberté[38], dont on doit attendre et épier les manifestations chez les êtres humains dans la phase déjà aussi de leur devenir. Bientôt ces limites seront rompues, la force intuitive prendra possession de tout son domaine, chaque organe s’ouvrira, et les objets pourront de toute manière entrer [164] en contact avec l’homme. Mais, avec cette liberté illimitée du sens peut très bien se concilier une limitation et une ferme direction de l’activité.

C’est ici la grande exigence avec laquelle les meilleurs d’entre vous affrontent à présent contemporains et postérité. Vous êtes las d’être les co-spectateurs de cet infructueux va-et-vient encyclopédique. Vous n’êtes vous-mêmes devenus ce que vous êtes que par la voie de cette auto-limitation, et vous savez qu’il n’y en a pas d’autre pour se former et se cultiver. Vous insistez, par suite sur le fait que chacun doit chercher à devenir un être déterminé, et se livrer à une activité quelconque avec constance et de toute son âme. Personne ne peut se rendre compte de la justesse[39] de ce conseil mieux que celui qui s’est déjà élevé par sa maturation à cette universalité du sens, car celui-là ne peut pas ignorer qu’il n’y aurait point d’objets si tout n’était pas disjoint et limité. Et donc je me réjouis, moi aussi, de ces efforts, et je voudrais qu’ils eussent déjà produit plus de résultats. Ils serviront avec une excellente utilité la cause de la religion. Car c’est précisément la limitation de la force, pourvu que le sens ne soit pas limité avec elle, qui fraie d’autant plus sûrement à celui-ci la voie vers l’Infini, et rouvre ainsi la connexion si longtemps barrée. Celui qui a vu et connaît beaucoup [165] intuitivement et peut alors se décider à faire et favoriser de toutes ses forces une chose particulière pour elle-même, celui-là ne peut se refuser à reconnaître, dans toutes les autres particularités, des choses qui veulent être faites et doivent être là pour elles-mêmes, car sinon il se contredirait lui-même ; quand alors il a poussé aussi haut que possible l’exécution de ce qu’il a choisi, moins que jamais, au sommet de l’achèvement, pourra-t-il lui échapper que cette particularité n’est rien sans tout le reste. Ce qui s’impose ainsi de tous côtés à un homme doué de sens, cette prise en considération de la valeur de ce qui lui est étranger et cet anéantissement de ce qui lui est propre, cette exigence simultanée d’amour et de mépris pour tout ce qui est fini et limité, cela n’est pas possible sans un obscur pressentiment de l’Univers, et doit nécessairement avoir pour suite une plus pure et plus précise aspiration à l’Infini, à l’Un en Tout.

Chacun connaît, par ses propres états de conscience, trois directions différentes du sens : l’une vers l’intérieur vers le moi lui-même, l’autre vers l’extérieur, vers l’indéterminé de l’intuition du monde, et une troisième qui relie les deux précédentes, telle celle-là que le sens, en état de perpétuelle oscillation de la première à la seconde, ne trouve de repos qu’en admettant de façon absolue leur union la plus intime ; la dernière [166] direction est celle centrée sur ce qui est achevé et parfait en soi, sur l’art et ses œuvres. Une seule de ces trois peut être la tendance dominante d’un homme, mais à partir de chacune un chemin conduit à la religion, et la religion prend une figure particulière selon le caractère distinctif de la voie sur laquelle elle a été trouvée. Considérez-vous vous-mêmes intuitivement avec une application indéfectible de l’attention, séparez et éloignez tout ce qui n’est pas votre moi, et continuez ainsi avec un sens toujours plus aiguisé[40] ; plus votre moi disparaîtra ainsi à vos propres yeux[41], plus clairement se présentera à vous l’Univers, plus magnifique sera votre récompense pour la crainte de l’anéantissement de vous-mêmes que vous aurez éprouvée, et cette récompense vous viendra du sentiment de la présence en vous de l’Infini. Portez votre regard intuitif hors de vous sur une partie quelconque, sur un élément quelconque du monde, et saisissez-le dans la totalité de son être, mais cherchez aussi à rassembler tout ce qu’il est non seulement en lui-même, mais en vous, en celui-ci et celui-là et partout, répétez votre trajet de la périphérie au centre toujours plus souvent et à de plus grandes distances : bientôt vous perdrez le fini, et vous aurez trouvé l’Univers.

Je souhaiterais, s’il n’était pas criminel d’outrepasser ses propres limites dans ses souhaits, je souhaiterais de pouvoir distinguer par une intuition non moins claire comment le sens de l’art, [167] pris en lui-même, se transforme en religion, comment malgré le calme dans lequel toute jouissance isolée plonge l’esprit, ce dernier se sent néanmoins poussé à réaliser les progressions qui peuvent le conduire à l’Infini. Pourquoi ceux qui peuvent avoir parcouru cette voie sont-ils des natures si taciturnes ? Je ne connais pas cette voie ; c’est dans cette direction que je me sens le plus strictement limité, c’est la lacune que je sens profondément en moi, mais à l’égard de laquelle aussi j’agis avec respect. Je me résigne à ne pas voir, mais je crois. La possibilité de la chose est claire à mes yeux, bien qu’elle doive rester pour moi un mystère. Oui, s’il est vrai qu’il y a des conversions rapides, des instigations à la suite desquelles chez un homme qui ne pensait à rien moins qu’à s’élever au-dessus du fini, en un moment comme par une illumination intérieure immédiate, le sens pour l’Univers s’ouvre, et ce dernier le surprend par le foudroiement de sa magnificence : oui, s’il en est ainsi, je crois que plus que toute autre chose la vue de grandes et sublimes œuvres d’art peut accomplir ce miracle. Seulement, je ne le saisirai jamais. D’ailleurs, cette croyance vise l’avenir plutôt que le passé ou le présent[42].

Trouver l’Univers sur la voie de la contemplation intuitive [168] de soi-même la plus abstraite a été l’affaire de l’antique mysticisme oriental qui, avec une hardiesse digne d’admiration, rattachait directement l’infiniment grand à l’infiniment petit, et savait trouver tout à la stricte limite du néant. C’est de la conception intuitive du monde, je le sais, qu’est sortie toute religion dont le schématisme était le ciel ou la nature organique, et l’Égypte polythéiste a été longtemps le pays qui a le plus parfaitement entretenu la façon de penser dans laquelle — on peut du moins le supposer — la vue intuitive la plus pure de l’Infini et du vivant originel ont cheminé, dans un humble esprit de support, côte à côte avec la plus ténébreuse superstition et la mythologie la plus dépourvue de sens.

Je n’ai jamais recueilli aucun témoignage d’une religion de l’art qui eût dominé des peuples et des périodes. Je ne sais qu’une chose, c’est que jamais le sens de l’art n’a approché ces deux genres de religion sans les combler d’une nouvelle beauté et, d’une nouvelle sainteté et mitiger aimablement leur étroitesse primitive. C’est ainsi que les anciens sages et poètes de la Grèce transformèrent la religion de la nature en lui donnant une figure plus belle et joyeuse, et c’est ainsi que son divin Platon éleva la mystique la plus sainte sur la cime la plus haute du monde divin et humain. [169] Laissez-moi rendre hommage à la déesse inconnue de moi et lui rendre grâce de ce qu’elle l’a entouré, lui et sa religion, d’égards si attentifs et si désintéressés. J’admire le plus bel oubli de soi-même dans tout ce qu’un saint zèle lui fait dire contre l’art, tel un roi juste qui ne ménage pas même sa mère au cœur trop tendre, car tout cela ne visait que le service que l’art rendait de son plein gré à l’imparfaite religion de la nature[43]. Maintenant, l’art n’est au service d’aucune religion, et tout est différent et pire. Religion et art coexistent l’un à côté de l’autre comme deux êtres amis[44], dont la parenté intime, bien qu’ils en aient le sentiment vague, n’est pas encore connue d’eux. Ils ont toujours sur les lèvres des paroles amicales et des effusions de cœur[45], que toujours ils retiennent, parce qu’ils ne peuvent pas encore trouver la vraie nature et l’ultime raison de leur pensée et de leur aspiration. Ils sont dans l’attente d’une révélation plus directe et, souffrant et soupirant sous une égale compression, ils se voient mutuellement endurer leur épreuve, intimement attirés l’un vers l’autre et animés d’un sentiment profond peut-être, mais sans amour. Cette compression commune a-t-elle pour seule fin, d’amener l’heureux moment de leur réunion ? Ou bien allez-vous livrer un grand combat pour celui des deux qui vous est si cher, auquel cas il s’empressera sûrement de s’occuper de l’autre [170] avec, pour le moins, une fidélité fraternelle.

Mais pour le moment les deux espèces de religion ne manquent pas seulement de l’aide de l’art, en elle-même aussi leur situation est pire qu’en d’autres temps.

À une époque où une ratiocination scientifique dépourvue de vrais principes n’altérait pas encore par sa vulgarité la pureté du sens, les deux sources de l’intuition de l’Infini coulaient à grands flots magnifiques, bien qu’aucune des deux ne fût assez riche pour donner ce qu’elle peut produire de plus haut. Maintenant, elles sont de plus troublées par la perte de la simplicité et par l’influence pernicieuse d’une façon de voir présomptueuse et fausse. Comment les purifiera-t-on ? Comment leur procurera-t-on assez de force et de plénitude pour qu’elles puissent féconder le sol et y faire pousser plus que des produits éphémères ? Les faire converger et les réunir dans un seul lit, voilà l’unique moyen qui peut mener la religion à sa perfection sur la voie que nous suivons ; ce serait une conjoncture du sein de laquelle elle sortirait bientôt pour aller au-devant de temps meilleurs sous une forme nouvelle et magnifique.

Considérez et voyez : le but de vos plus hauts efforts actuels est en même temps la résurrection de la religion ! Ce sont vos dépenses d’énergie qui doivent amener cet événement, et je célèbre en vous, bien que vous le soyez sans dessein, les sauveurs [171] et mainteneurs de la religion. Restez indissolublement attachés à votre poste, à votre œuvre, jusqu’à ce que vous ayez pénétré au cœur le plus intime de la connaissance, et ouvert, dans un sentiment d’humilité sacerdotale, le sanctuaire de la vraie science, où tous ceux qui s’y présentent, et les fils de la religion eux aussi, trouvent le remplacement de tout ce que leur a fait perdre une demi-science et l’outrecuidante vanité qu’on en tirait. La morale, vêtue de sa chaste et céleste beauté, exempte de jalousie et de fatuité despotique, leur tendra elle-même à l’entrée la lyre céleste et le miroir magique, pour accompagner d’accents divins la grave et silencieuse formation de l’esprit[46] qu’elle accomplit en silence, et pour voir celle-ci toujours la même sous des formes innombrables à travers la totalité de l’Infini. La philosophie, élevant l’homme à la conception de ses rapports de réciprocité agissante avec le monde, et lui enseignant à se reconnaître non seulement comme créature mais comme créateur, ne souffrira pas plus longtemps que, sous ses yeux, languisse, pauvre et besogneux, celui qui tient son œil fermement tourné vers soi-même, pour chercher là l’Univers. La vétilleuse barrière séparatrice est tombée. Tout ce qui est en dehors de cet observateur[47] n’est qu’autre chose en lui, tout est reflet de son esprit, de même que son esprit n’est que le décalque [172] de tout ; il lui est permis de se chercher dans ce reflet, sans se perdre ou sortir de lui-même ; il ne peut jamais s’épuiser dans la contemplation de lui-même, car tout se trouve en lui. La physique[48] place celui qui promène autour de lui son regard d’intuitif pour voir l’univers, elle le place hardiment au centre de la nature, et ne souffre pas plus longtemps qu’il se disperse infructueusement et s’arrête à de petits détails isolés. Il ne fait dès lors que suivre le jeu de ces forces de la nature jusque dans leur domaine le plus secret, des inaccessibles entrepôts de la matière mobile jusqu’aux ingénieux laboratoires de la vie organique ; il mesure leur puissance, depuis les frontières de l’espace générateur de mondes jusqu’au centre de son propre moi, et se trouve partout en éternel conflit et indissoluble union avec cette nature, dont il est lui-même le centre le plus intérieur et la limite extérieure la plus extrême ; l’apparence s’est envolée, et l’être est conquis ; ferme est son regard et claire est sa vue ; partout, sous tous les déguisements, il reconnaît la même chose, et ne trouve de repos que dans l’Infini et l’Un. Je vois déjà quelques personnalités importantes initiées à ces mystères revenir, prenant seulement encore le soin de se purifier et de se parer pour se présenter vêtues d’habits sacerdotaux[49].

Si donc [173] l’autre déesse aussi se plaît à faire attendre longtemps sa secourable apparition[50], pour cela aussi l’époque nous apporte une grande et riche compensation. La plus grande œuvre d’art est celle dont la matière est l’humanité, celle que forme directement l’Univers, et chez beaucoup le sens s’ouvrira bientôt pour elle. Car l’Univers crée actuellement des formes avec un art vigoureux et hardi, et vous en serez les néocores quand les nouvelles formes créées seront exposées dans le temple du temps.

Interprétez l’artiste avec force et esprit, expliquez les œuvres postérieures par les précédentes et celles-ci par celles-là. Étreignons passé, présent et avenir, musée sans fin des œuvres d’art les plus sublimes, éternellement multipliées par mille brillants miroirs. Laissez l’histoire, ainsi qu’il convient à celle qui a des mondes à sa disposition, récompenser avec une prodigue gratitude la religion, reconnaissant en celle-ci celle qui la première a pris soin d’elle[51] ; laissez-la susciter à la puissance et à la sagesse éternelles de nouveaux et saints adorateurs. Voyez comme au milieu de vos cultures la plante céleste prospère sans que vous interveniez. N’en gênez pas la croissance et ne l’arrachez pas. Elle est une preuve de la satisfaction des dieux et de la pérennité de votre mérite ; elle est un ornement qui le pare, un talisman qui le protège.


  1. Ueber die Bildung zur Religion.
  2. Cf. p. 49 et 187.
  3. Version de B. A disait plus abstraitement : que chaque partie homogène soit touchée.
  4. Texte de B ; A disait plus vaguement : « à une atmosphère ».
  5. C ajoute : telle qu’elle est, je dirai devenue chair, dans son existence historique.
  6. C’est sans doute ici le sens de aufhalten, qui a au moins aussi souvent celui de « retenir ».
  7. Sonst, ajouté dans B. Sur la Révolution cf. p. 17-18 et 136-138.
  8. Hervorbringen chez Pünjer est une faute d’impression, corrigée en hervorbringe chez Otto.
  9. Texte de B ; A disait simplement et bien vaguement : sein Continuum.
  10. Ansichten, proprement « vues ».
  11. Les Fantaisies sur l’art de Tieck et Wackenroder paraissent la même année 1799 que les Discours ; elles sont animées d’un esprit tout proche, et ne peuvent donc pas être visées ici dans une intention ironique.
  12. Das Ziel peut signifier « le but » ou « le résultat final ».
  13. Dans la note 1 de 1821, Schleiermacher veut établir que cette affirmation n’est pas en contradiction avec la parole du Christ : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisis », Jean XV, 16.
  14. Texte de B. A disait, moins cohérent : où elle a eu sa première vision d’elle-même.
  15. So ist Jeder und Jedes in Jedem ein Werk des Universums.
  16. Verständig ; les éditions ultérieures n’atténueront en rien ce jugement du romantique.
  17. B substitue à cette dernière phrase celle-ci : « et de chercher le spirituel et le supérieur en dehors du terrestre et du sensible ».
  18. Texte de B. A disait en termes moins clairs : « la poésie créa bien assez tôt la base pour les usurpations de la métaphysique au détriment de la religion ».
  19. Dans cette plainte, l’auteur fait chorus avec le Fr. Schlegel de la Lucinde et de certains Fragments de l’Athenäum.
  20. Façon indirecte de dire : On n’est pas apte à éprouver l’intuition de l’Univers.
  21. Précision donnée dans C à la place du « Ils » tout à fait indéterminé de A et B.
  22. A : über die Industrie ; B : über den Gewerbefleisz hinausgehen.
  23. B : qui pourrait susciter un intérêt religieux.
  24. La note 3 de 1821 justifie cette mention en insistant sagement sur le rôle et l’importance de la lettre en tant que formulation de l’esprit.
  25. Texte de B ; A disait : « à Hufeland ». Hufeland, médecin, biologiste et professeur à Iéna puis à Berlin, 1762-1836, a publié entre autres un ouvrage intitulé Macrobiologie ou l’art de prolonger la vie, 1797, dont le succès fut très grand et durable en Allemagne, et qui a été traduit dans beaucoup de langues, la traduction française a connu au moins deux éditions, en 1824 et 1837.
  26. Wir alle sind dabei hergekommen.
  27. Sich eines Mehreren zu bemachtigen.
  28. B : pour élever leur sentiment au degré d’une piété indépendante.
  29. Sich zu verlassen.
  30. Cette expression si vague n’a pas été précisée dans les éditions ultérieures ; il faut entendre sans doute : Il en est au contraire ainsi des demi-mystiques dont je parlais tout à l’heure.
  31. B : le sentiment supérieur.
  32. Ou « inculte », ungebildet.
  33. L’asthénie et la sthénie jouent un grand rôle dans la physiologie et la thérapeutique du médecin anglais Brown, très en vogue dans toute l’Europe au cours de la seconde moitié du xviiie siècle.
  34. A disait : communément.
  35. Welche die innersten Mysterien empfangen haben.
  36. Cf. p. 4.
  37. Ce complément nécessaire du comparatif n’est formulé que dans C.
  38. Texte de B, qui remplace par Freiheit le Willkür de A.
  39. A disait : « la vérité ».
  40. C : dirigé avec toujours plus d’acuité sur le pur intérieur.
  41. B fait ici cette adjonction nécessaire : dans ce qui constitue sa personnalité et son existence distincte.
  42. Nous avons ici un aveu d’infirmité esthétique dont il faut approcher la modeste sincérité, et dont on devrait tenir compte dans le reproche, en partie seulement justifié, qu’on fait au romantique, de confondre la religion avec le culte de l’art.
  43. Le culte du romantique pour Platon lui inspire cette explication intelligemment complaisante de la sévérité de l’auteur de la République à l’égard des poètes.
  44. Texte de B ; A disait « âmes amies ».
  45. Les Effusions de cœur d’un moine ami des arts, de Tieck et Wackenroder, avaient paru en 1797.
  46. « De l’esprit » est une adjonction, nécessaire, de B.
  47. Le texte dit trop vaguement « de lui ».
  48. Remplacé dans B par « les sciences naturelles ».
  49. Il peut penser entre autres à Ritter, Novalis, Schelling, à Baader, Oken.
  50. Sans doute celle de l’art, lequel est si souvent associé à la science, et qu’évoque la phrase suivante.
  51. Cf. p. 100.