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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/22

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besoin de revenir à un christianisme plus intérieur, plus individuel, plus spirituel, contre un catholicisme jugé déformé par la trop grande importance attribuée à des œuvres, à des rites, à des dogmes, à des sacrements, formes instituées par une Église jugée trop autoritaire. Mais le protestantisme, surtout sous ses espèces luthériennes, a conservé des dogmes, des rites et des sacrements qui, bien que réduits en nombre, en positivisme substantiel et en importance, gardent cependant leur valeur et leur rôle, et l’Église luthérienne, devenue par le fait des circonstances Église d’État, tendait à faire consister la religion dans une discipline intellectuelle et morale plutôt que dans un sentiment spontané.

Au xviiie siècle, en Allemagne, la lutte entre protestants orthodoxes et libres-croyants s’était concentrée autour d’un conflit entre les dogmes, interprétés par l’Église comme des vérités surnaturellement révélées, immuables, et la raison. La question fondamentale était : qu’est-ce que la raison peut accepter de ces dogmes, et peut-elle admettre une révélation surnaturelle qui lui viendrait du dehors ? Le problème passe du domaine proprement religieux ou philosophique sur le plan de la littérature par suite de l’intérêt vivant que savent lui donner plusieurs œuvres de Lessing. Étrangers à ces polémiques, les piétistes entendaient se contenter de vivre leur religion, en entretenant en eux le sentiment vif de ce que le Christ a été et a fait pour le salut des hommes.

Schleiermacher, élevé dans le piétisme morave, et formé ensuite intellectuellement par l’idéalisme philosophique le plus quintessencié a, ainsi que nous l’avons vu, rejeté très jeune de son protestantisme natif presque tout ce qui y subsistait de dogmes et de rites, abstractions matérialisées en quelque sorte d’une part, et de surnaturel d’autre part, pour ne s’attacher qu’au sentiment vivant dont il a fait le principe, l’essence, et presque le tout de la religion. Ce sentiment, à l’époque de son romantisme, qui est celle où pour la première fois il cherche à le définir et publie l’expression qu’il lui donne, est si dégagé des croyances et des pratiques dans lesquelles doit nécessairement se fixer, se cristalliser toute religion positive, il est si fluide, vaporeux, volatile même, que cette religiosité ne semble pas pouvoir