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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/238

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fait irréparablement de générations entières et de peuples entiers. Voilà pourquoi votre répugnance à l’égard de l’Église, à l’égard de toute institution qui vise à communiquer la religion, est encore plus grande que celle à l’égard de la religion elle-même ; voilà pourquoi les prêtres, en tant que soutiens et membres proprement actifs de ces institutions, vous sont les plus odieux des hommes.

Mais ceux aussi parmi vous qui ont de la religion une idée un peu plus amène, et la tiennent pour une originalité plutôt que pour un détraquement de l’esprit, pour un phénomène insignifiant plutôt que dangereux, ceux-là également ont une opinion tout aussi défavorable à l’égard [176] de tout aménagement social institué en sa faveur. Le renoncement servile à l’originalité et à la liberté, un mécanisme d’où l’esprit est absent, et des usages vides, tels seraient à leur avis les effets inévitables de ces institutions, et telle serait la belle œuvre de ceux qui, avec un succès incroyable, se font un grand mérite de choses qui, ou bien ne sont rien, ou bien pourraient être tout aussi parfaitement accomplies par n’importe qui d’autre. Je ne vous aurais que très incomplètement déversé mon cœur au sujet de ce qui a pour moi tant d’importance, si je ne me donnais pas de la peine pour vous amener à cet égard aussi au point de vue juste. Je n’ai pas à rappeler combien des aspirations absurdes et des tristes destinées de l’humanité vous imputez aux sociétés religieuses : cela se lit dans mille pensées formulées par les plus estimés d’entre vous. Je ne veux pas non plus m’arrêter à réfuter une par une ces accusations et à rejeter le mal sur d’autres causes. Soumettons plutôt à un nouvel examen tout le concept de l’Église, et recréons-le, tel qu’il se développe à partir du centre de la chose même, sans nous soucier de ce qui en a été réalisé jusqu’ici, et de ce que nous livre l’expérience.

[177] Du moment que la religion existe, elle doit nécessairement obéir aux lois de l’esprit de société[1] ; cela ne résulte pas seulement de la nature de l’homme, mais très particulièrement de sa nature à elle. Il serait tout à fait contre nature, vous ne sauriez le contester, que ce qu’il

  1. Gesellig sein, cf. note 1.